Communauté et articulations: à propos du Sacre du Printemps de Nijinsky

Être ensemble 1 Jan 2003French

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Contextual note
First published in Claire Roussier (ed.), Être ensemble: figures de la communauté en danse depuis le XXe siècle, Pantin, Centre National de la Danse, 2003.
Ce texte résulte d’une partie des analyses effectuées, en 1999, dans le cadre d’un séminaire commun consacré au Sacre du printemps (de Vaslav Nijinski, Pina Bausch et Maurice Béjart), donné au département Danse de l’université Paris-VIII, par Isabelle Ginot, Hubert Godard, Armando Menicacci et moi-même, en compagnie des participants ou étudiants que nous ne pouvons tous remercier. Une première présentation de cette étude fut donnée au Collège international de philosophie en 2002, dans un séminaire organisé par Véronique Fabbri en collaboration avec le CND puis pour le Grupo de Estudos de Dança de Rio de Janeiro et s’est poursuivie dans le cadre d’une série de cours à l’université de Tokyo, à l’invitation de Patrick De Vos. Je remercie enfin Jean-Michel Beaudet, ethnomusicologue, pour ses remarques et ses conseils.

Cette petite troupe n’a pas été entamée, ils ont vécu au milieu de nous comme au milieu d’une steppe(1).
Jacques Rivière

En assistant aujourd’hui à une recréation du Sacre du printemps, devant quel monde étrange sommes-nous ? Quelles sont ces créatures colorées qui organisent savamment le sacrifice d’une des leurs ? Comment et à quelles fins ? À cela, Jacques Rivière aurait peut-être répondu : « Nous sommes devant [cette danse extravagante] comme des enfants à Guignol, ils n’ont pas besoin qu’on leur “explique”(2) » ; précisant son intention de façon lapidaire, Nijinski lui-même aurait dit aussi : « pas d’êtres humains ». En cette année 1913, période de multiples bouleversements dans le champ artistique, précédant d’un an le premier conflit mondial, Nijinski, en concevant le spectacle d’un sacrifice ordonné par ces figurines aussi magnifiques que lointaines, élabore un nouveau geste artistique qui n’a cessé depuis de susciter des interrogations. Quelle pensée du sacrifice cette recréation donne-t-elle à percevoir ?

Les propositions qui suivent reposent sur Sacre du printemps tel qu’il fut recréé pour la première fois par Millicent Hodson et Kenneth Archer en 1987(3). Elles ne s’appuient pas – et comment le pourraient-elles ? – sur l’analyse du Sacre de Nijinski, mais sur ce que Millicent Hodson définit elle-même comme « un puzzle chorégraphique », entrepris après de longues années de fouilles dans les archives les plus diverses(4). Ce puzzle se donne à voir comme « Le-Sacre-du-printemps-de-Nijinski », puisqu’il entend, d’une part, constituer une totalité (effacer son caractère morcelé, ses pièces manquantes ou substituées), et d’autre part, remonter « l’œuvre originale », construire les preuves de son authenticité. Il ne saurait être pourtant qu’une de ses occurrences, à savoir une interprétation possible d’une idée de l’œuvre, élaborée à partir de multiples documents épars.

Cette recréation demeure cependant, à ce jour, la seule proposition d’interprétation des traces du Sacre. Elle témoigne d’une intelligence possible du projet de Nijinski et dévoile de manière singulière les potentialités d’une écriture chorégraphique. Une écriture chorégraphique qui prit à bras le corps, dès 1913, la question d’une communauté culturelle, celle d’une communauté des arts et, enfin, celle d’une communauté des corps et des gestes qui la fabriquent. Laissant aux soins d’une histoire culturelle l’analyse de l’ancrage russe du Sacre et à ceux d’une histoire des arts l’étude de son inscription dans la modernité, c’est essentiellement sur la constitution d’une communauté gestuelle que nous nous pencherons. Comment la production du geste est-elle ici productrice de sens ? Comment peut-elle s’articuler avec une perspective anthropologique, culturelle et artistique ?

Trois retours

À première vue, tout semble là pour alimenter le mythe de la communauté primitive perdue, pour évoquer l’imagerie primitiviste de la tribu slave construite par les Ballets russes. Nous sommes bien dans le cadre et l’économie du ballet. Un ballet se donne dans un théâtre (ici, le Théâtre des Champs-Élysées), comporte une musique (commandée par un directeur artistique à un compositeur, Serge de Diaghilev à Igor Stravinski), un argument (composé par Stravinski et Nicolas Roerich(5) qui fut aussi poète), un décorateur de renom, un costumier (Roerich), un chorégraphe, enfin, qui organise une succession de « tableaux » avec son corps de ballet, son étoile et ses « danses de caractère », sous la forme, ici, de danses pseudo-primitives russes. Pourtant, si les cadres d’une construction « balletique » primitiviste sont là, les rapports de tous ces éléments entre eux, comme leur contenu même, sont radicalement « secoués ».

Cette œuvre fut signée lors de sa création par Stravinski, Roerich et Nijinski. Trois noms à l’affiche pour une seule œuvre, sa genèse se place déjà sous le signe d’une petite communauté de travail. Mais, dans ce processus de création en commun, s’agit-il vraiment d’une « fusion des âmes » comme l’évoque Rivière(6) ou plutôt de la capacité de penser le même problème à plusieurs ? Le problème du « retour » à la communauté primitive russe ne s’opère pas de la même façon chez les trois artistes. Il semble qu’il y ait déjà plusieurs modalités de traitement de ce retour qui, loin de fusionner, articulent davantage leurs singularités et leurs écarts(7).

Roerich était pour Stravinski celui qui « connaissait le mieux le secret de nos ancêtres ». À la demande du compositeur, il collabora à l’écriture de l’argument afin de donner forme à son « rêve d’un rituel païen dans lequel une vierge élue est sacrifiée et danse jusqu’à la mort devant des vieillards ». Après trois arguments successifs (dont le premier était de Roerich), composés entre 1910 et 1912, le livret fut mis au point en 1912. Non seulement Roerich participa à la composition de la pièce, assista aux répétitions, mais il fut aussi une source d’inspiration et d’information pour Nijinski. Ce dernier, après avoir chorégraphié le solo de l’Élue en 1912, attendit en effet que les costumes de Roerich soient exécutés en janvier 1913, pour chorégraphier ses danses de groupe. Il profita aussi des documents collectés par Roerich, notamment d’idoles de bois peintes et de fétiches de bois (blocs rectangulaires aux figures gravées dont les coudes sont collés au corps), qui inspirèrent, semble-t-il, la posture de base des danseurs du Sacre. Le regard et l’attitude de Roerich sont ceux d’un ethnologue de sensibilité mystique, mû par le désir d’évoquer un passé primitif et archaïque, soucieux de faire revivre l’esprit des Slaves préhistoriques. Le peintre propose ainsi le décor figuratif d’un paysage aux couleurs en aplat, sur lequel viennent se poser les motifs des costumes d’inspiration fauve(8). L’optique de Stravinski est différente, il introduit dans la composition musicale la pratique du montage de matériaux anciens et populaires : son désir d’un retour à l’authentique se définit davantage en opposition à la tradition germanique de l’art musical comme expression de l’intériorité du sujet. Juxtaposant des éléments musicaux à la fois simples et dissemblables (khovorodes ou mélopée lente, danses aux éléments rythmiques et procession), il cherche du nouveau dans l’agencement complexe de séquences « polyrythmiques » et « hétérorythmiques ».

Nijinski, quant à lui, semble se situer encore ailleurs. Dans cette quête du primitif au sein de la culture moderne, on se demande s’il tente de réactiver un potentiel archaïque(9) ou de mettre en œuvre le mouvement d’un devenir primitif qui ferait imploser les catégories nature/culture, humain/inhumain, passé/présent. Tout paraît bouleversé : quelle construction du corps surgit de cette secousse ? Quelle nouvelle syntaxe gestuelle Nijinski produit-il ? Quelle pensée et pratique de la communauté et du sacrifice ?

Sacrifice et communauté, ces deux notions semblent ne pouvoir exister l’une sans l’autre dans ce Sacre. Si Nijinski est de fait contemporain de la Grande Guerre, il l’est aussi de la vaste réflexion théorique sur le sacrifice élaborée à la fin du xixe siècle et au début du xxe siècle, au moment où se définit une science des religions à partir des travaux d’Émile Durkheim, de Marcel Mauss et d’Henri Hubert(10), ou de Robertson Smith. Ce mouvement de pensée, comme l’analyse Marcel Detienne(11), vise à faire du sacrifice une figure unitaire et universelle au centre de la religion et au fondement du champ social. En 1910, affirme Detienne, « nul ne songe à soupçonner le sacrifice. Tout le monde est d’accord pour y reconnaître un phénomène fondamental, à la fois de la religion et de la société»(12). On pense alors que « si la société fait violence à nos appétits naturels, précisément parce qu’elle a pour mission de nous élever au-dessus de nous-mêmes, c’est bien parce que le social s’enracine tout entier dans l’esprit de sacrifice et que la société n’est pensable que dans sa relation nodale avec la haute figure du Sacrifice»(13). Le sacrifice du dieu lui-même, par l’ascèse et l’endurance, le désintéressement absolu et le renoncement dont il fait preuve, demeurerait la forme ultime du sacrifice.

La réflexion sur le sacrifice semble ainsi nécessairement s’inscrire dans le champ dessiné par le christianisme(14). L’enjeu était alors de tracer une frontière entre le rituel sauvage des peuples de la nature et un mode proprement religieux, de départager, par une différence de degré, le rite grossier de la manducation des chairs sanglantes et les mystères de l’Eucharistie, tout en cherchant une continuité. Mais pour établir ce modèle, il fallait, selon Detienne, tenir pour négligeable l’analyse des gestes du rite dans toutes leurs ambiguïtés, en particulier en Grèce, valoriser le geste de l’offrande de soi au détriment de la cuisine et de la manducation, bref, négliger tout ce qui ne relève pas de l’esprit du sacrifice mais de ses raisons physiques.

Dans ce débat savant, la voix de Nijinski détonne. Il semble articuler sacrifice et communauté pour, d’un même mouvement, les relier indissolublement et les défaire, pour faire imploser, depuis son point de vue de danseur-chorégraphe, cet esprit de sacrifice. Dès lors, les dynamiques spectaculaires et corporelles, complexes et ambiguës, mises en place dans son Sacre, ne détournent-elles pas la logique chrétienne du sacrifice pour proposer le spectacle d’une communauté qui n’est plus celle des « sujets civilisés » capables d’abnégation au nom d’un intérêt supérieur ni celle des bêtes sauvages barbares ? Et si c’est le cas, comment le font-elles ? Par un effet de boomerang, ce Sacre du printemps ne porterait-il pas le soupçon sur l’institution sacrificielle pour en relancer aussi la puissance ? Telle serait l’hypothèse : le Sacre donnerait à voir à la fois le sentiment de sa possibilité et de sa dérision, et cette tentative de re-sacralisation se présenterait aussi comme un paradis artificiel affiché comme montage. Tout est mis en œuvre pour reconstruire une communauté perdue. Mais ce réveil serait celui d’un monde de jouets animés, affirmant autant la puissance du mythe que son épuisement, sa désarticulation, son démembrement.

Toile du sacrifice, ordre chorégraphique

L’existence de cette communauté n’est-elle pas d’abord liée à la possibilité d’une histoire commune, d’un récit partagé et porté par une/des voix qui le chante(nt) ? Un rôle joué ici par le récit de Roerich et Stravinski qui s’incarne du point de vue chorégraphique(15) par la mise en scène d’un mouvement global, diurne puis nocturne, qui emporte avec lui les diverses scènes, retenant du début à la fin l’attention du spectateur de « cette grosse chose complexe et embarrassée»(16). Le chorégraphe se fait conteur : il retrace la geste d’un sacrifice rituel, et organise la mise en scène d’un récit propre à ce que Marcel Mauss nommait « un milieu, un système sacrificiel»(17) où, comme une toile que l’on tisse, toutes les forces en action doivent être orientées dans le sens prescrit. De fait, la trame chorégraphique, retissée par Millicent Hodson, ne souffre d’aucun accroc, d’aucune hésitation ou émiettement, le récit est d’une parfaite continuité. Ici, pour Stravinski, comme pour Nijinski, « rien d’exotique […], aucune espèce de pittoresque […], rien qui fasse décor, qui soit là simplement pour l’effet»(18). La continuité et la maîtrise de l’espace et du temps doivent être assurées à tous les niveaux de l’action.

La thématique même du Sacreconstituait le terrain idéal à l’élaboration d’une nouvelle conception du « chorégraphique » : chorégraphier un système d’action sacrificiel imposait un ordre chorégraphique, une loi, une constance d’interprétation en interprétation. Il ne s’agissait plus « d’arranger des pas » et d’organiser des ensembles à la manière des maîtres de ballet du xixe siècle ou du début du xxe siècle, de laisser la composition des variations solistes aux soins des étoiles-interprètes qui les dansaient(19). Le maître de ballet est devenu chorégraphe, c’est-à-dire auteur d’une écriture du mouvement, issue ou non de sa propre corporéité, susceptible d’être objectivée pour être rejouée par d’autres. Souci d’écriture et de partition (partition du travail artistique aussi) qui a poussé Nijinski, connaisseur attentif de la notation du mouvement de Vladimir Stepanov, à constituer son propre système de notation du mouvement dès la création de L’Après-midi d’un faune. Être chorégraphe, c’était ainsi tenter de répartir ce qui relève de l’écriture du mouvement et ce qui relève de l’interprétation du geste, « exprimer », comme l’écrit encore Rivière à propos de la musique de Stravinski, « toute chose à la lettre », limiter le jeu égotiste interprétatif, réduire les marges d’incertitude. Bien que pour des raisons différentes, Nijinski semble ainsi partager la réticence de Stravinski face à un espace d’interprétation ouvert à tous les débordements psychologiques : le compositeur souhaitait voir sa musique inscrite et jouée sur des rouleaux mécaniques avec la régularité d’une machine. Dès lors, le spectateur se rend au théâtre non pas tant pour voir telle étoile ou tel interprète danser, mais pour voir « du » Nijinski, interprété par x ou y. En ce sens, le travail de Nijinski s’inscrit aussi dans toute la réflexion du théâtre d’art qui entendait rendre à la scène l’écoute des textes, en partie abandonnée au profit du jeu de l’acteur(20).

Pas de sacrifice sans communauté

La chorégraphie de cette vaste danse de groupe n’est en rien, comme on l’a souvent dit, barbare, sauvage ou déréglée. Le texte chorégraphique proposé constitue même, dans le cas du Sacre du printemps, la loi ou le cadre qui ordonne l’action sacrificielle. La chorégraphie rend justice d’un univers extrêmement réglé, propre à une institution sociale complexe, à défaut de quoi le spectacle du sacrifice ne serait qu’un acte criminel, le meurtre d’un bouc-émissaire appelant une vengeance. Pour que ce sacrifice ne déclenche pas le cycle d’une violence réciproque, il importe qu’il soit réglé selon une mécanique sans faille. La communauté est d’emblée inscrite dans ce système sacrificiel lui-même, elle en est même la condition d’existence, comme le souligne Marcel Mauss dans son essai sur le sacrifice. S’il existe peu de rites aussi publics que le sacrifice, c’est que la communauté est déjà là, elle préexiste au sacrifice et confère, par sa présence directe ou déléguée, la valeur à cet acte même : ce don à un être surnaturel que le groupe accomplit collectivement pour se l’attacher parce que les dieux se sont éloignés. C’est ce don que le rituel rejoue.< /p>

L’exposition de cet ordre communautaire, constant et hiérarchisé, s’effectue tout au long de la pièce. Les quarante-six danseurs (vingt-cinq hommes, vingt et une femmes) se répartissent les soixante-dix-neuf rôles, formant différents groupes marqués par des distinctions stables et clairement posées, distinctions par sexe, par taille, par tranche d’âge (des plus jeunes aux grands ancêtres)(21). Chaque groupe porte un signe social distinctif redoublé d’une différenciation visuelle (couleur et motif du costume, taille des corps), rythmique, spatiale (trajets dans l’espace) et posturale.

Tout rituel sacrificiel implique, selon Mauss, un double processus de sacralisation puis de désacralisation de la victime, autour duquel se règle le passage du commun au sacré : la consécration assure le changement d’état, toutes les choses et les êtres de la communauté acquièrent alors une valeur sacrée. Avant le sacrifice, il n’y a ni victime ni sacrifiant ni sacrificateur. Tout ce qui y concourt se doit d’être investi d’un degré plus ou moins élevé de sacralité afin que chacun soit dans l’état qu’exige son rôle ou sa fonction dans le système sacrificiel : le lieu (ici, le lieu de la danse), les objets, le sacrifiant qui recueille les bénéfices et les contrecoups positifs ou négatifs du sacrifice (ici, la communauté présentée à l’acte I, puis à travers ses délégations dans l’acte II), le sacrificateur (les divers groupes d’ancêtres), le sacrifié (la jeune fille élue).

Chaque séquence chorégraphique marque une étape dans le récit de la préparation du sacrifice qui dépouillera les participants de leur ancien corps. Dans « Les augures printaniers », par des signes tracés au sol, une vieille femme annonce le destin à venir, qui est approuvé par tous les groupes présents. Au cours du « Jeu du rapt » et du « Jeu des cités rivales », les danseurs miment des divisions sexuelle et politique, qui seront par la suite résorbées par deux unissons différents. Après s’être éprouvée elle-même en simulant ces luttes intestines et s’être dépouillée de ses tensions internes, la communauté est à chaque fois en mesure de trouver un nouveau rythme commun. À la fin de l’acte I, le baiser final du vieux Sage à la terre achève la dispersion des anciens liens. Il provoque une séquence rassemblant les quarante-six danseurs qui, devenus solistes, miment une transe faite d’une multitude de secousses corporelles ; les membres agités et tremblants, ils se jettent au sol et sautent en l’air. Cette secousse finale marque la disparition d’un ordre physique ancien. Les liens sont prêts à être renouvelés.

La chorégraphie organise dans l’espace une dynamique centripète, dessinant insensiblement un foyer central : désinvesti au début de la pièce, le centre est peu à peu désigné par l’orientation des groupes, puis il est élu comme lieu même de l’action à venir lorsqu’il est baisé par le Sage. Ainsi consacré par le vieillard, le centre organise la série nocturne du cercle des adolescentes et des figures concentriques de l’acte II. Il crée aussi la dynamique symbolique de l’acte, le degré de religiosité croît et décroît au fur et à mesure qu’on s’en rapproche ou qu’on s’en éloigne. Autour de l’Élue, immobile après son « élection » et durant tout l’acte jusqu’à sa danse sacrale, défilent, en chaîne fermée, tous les groupes délégués de la communauté qui disparaissent les uns après les autres. La communauté voit ainsi sa représentation se resserrer dans l’espace du sacrifice, qui n’est plus désormais investi que par l’Élue et les sacrificateurs.

Cohésion et (dés)articulation des groupes et du corps

Si la structure chorégraphique conduit le récit univoque ou la « marche » vers la danse sacrale, cette marche est celle d’un corps qui cheminerait dans plusieurs directions à la fois, pour reprendre la métaphore de Rivière à propos de la musique de Stravinski(22). L’organisation de l’ensemble des groupes sur scène, les jeux intercorporels renvoient en effet à une organisation communautaire non fusionnelle. L’accroissement de la multitude ne se fait pas de l’intérieur en suivant une logique intrinsèque aux groupes qui dansent. Elle ne se développe pas de façon « organique » en s’auto-nourrissant jusqu’à ce que les groupes fusionnent pour en créer un autre. La fusion de la masse est même ce qui semble radicalement absent de cette communauté de corps articulés. La multitude est divisée en douze groupes différents qui demeurent stables du début à la fin de la pièce : aucun d’entre eux ne se dissout dans un autre, sous le mode d’une masse indifférenciée. Leur co-présence ne les modifie pas. C’est davantage par juxtaposition serrée, par stratification rythmique que les groupes s’agglutinent. Des unissons scandent la fin de chaque séquence du premier acte, et la recréation de Millicent Hodson en organise la mise en place et la défection sous des formes spatio-temporelles très diverses(23). À chaque fois, la communauté éprouve et reconstruit rythmiquement son unité de manière différente. Un principe d’accumulation sans mélange identitaire, de superposition des gestes, des rythmes et des couleurs propres à chaque groupe organise ainsi ce vaste montage chorégraphique.

Les groupes par ailleurs « ne dialoguent pas », n’échangent pas, ne se répondent pas dans une distribution et un équilibre des masses. Pour Rivière, c’est l’un des signes de la rupture de Nijinski par rapport à l’esthétique de Michaël Fokine, tributaire, selon le critique, de « la symétrie de l’Opéra [où] toute figure était conçue sur le modèle d’un échange ou d’un va-et-vient(24) ». Mais la complexité de ces jeux « partitionnels » travaille aussi le corps de chaque danseur : une « polyrythmie » au sein même du geste est à l’œuvre dans leur corps segmenté. Par un principe d’isolation des membres, chaque partie du corps des garçons, par exemple, au tout début des « Augures printaniers » (1re séquence de la pièce), peut tenir un discours rythmique différent, simultanément (une partition rythmique pour la tête, pour les bras, pour les jambes) et de façon diverse chez chacun des membres du groupe.

On perçoit alors avec plus de précision ces propos de Rivière : « Nijinski s’était rapproché de chaque groupe particulier ; il a consulté ses indications et ses tendances […], il s’est fait le spectateur et l’historien de ses moindres initiatives. La danse de chaque groupe est-ce qu’il couvait dans la séparation d’avec tous les autres […], il y a dans toute la chorégraphie du Sacre, une asymétrie profonde […], chaque groupe commence par soi, il ne fait aucun geste qui soit suscité par le besoin de répondre, de compenser, de rétablir l’équilibre […](25). » La danse de groupe n’a de sens ici qu’à partir d’un principe de séparation, de distinction des groupes entre eux, des membres d’un même groupe et des parties d’un même corps. La communauté ainsi articulée permet aux différenciations de se manifester. Elle offre la possibilité d’exprimer une multitude de rythmes, de couleurs, de gestes, aussi solitaires que solidaires.

Si le chaos rythmique et gestuel de ces corps produit un effet de communion, cela tient aux effets assumés d’un montage corporel et rythmique extrêmement serré. À la fin de l’acte I, la secousse générale de la multitude n’est pas celle d’une masse ivre d’elle-même qui, dans un moment de soulagement, « déchargerait » et dissoudrait par là toutes « les charges de distance»(26) qui séparent les individus. Cette secousse est plutôt une transe mimée permettant de trouver un nouveau mode d’articulation du corps et des corps entre eux. Le jeu de désarticulation poussé jusqu’à la secousse semble les prémices d’un nouveau geste collectif : autour du Sage, les membres du groupe, désormais tous rassemblés, ne sont-ils pas en mesure de frapper ensemble du poing le ciel et des pieds la terre, de partager une même verticalité, un même rapport au sol, une même orientation ?

(Dés)articulation des figures et du fond : un Sacre des figurants

Pourtant, cette verticalité est problématique. Elle est contrariée, biaisée, et les coups donnés ne portent pas. Ils ne sont pas réellement donnés, ils sont représentés. Le lien du corps à son environnement est physiquement problématisé dans le Sacre, et de multiples manières. On marche de façon singulière dans cet Eden russe. Il semble que les figures, sans fusionner avec le fond(27), s’articulent physiquement avec lui ou encore à côté de lui. S’il ne s’agit pas d’êtres humains comme l’affirmait Nijinski, comment alors les définir ?

Si le mythe de la communauté primitive se fonde sur la résolution harmonieuse des rapports entre les hommes, la nature et le cosmos dans lequel ils s’intègrent, la représentation d’un Eden implique une forme de plénitude décorative. La surface de la fresque, du tableau, de la mosaïque ou encore du tapis ne peut être troublée ou déchirée par la présence de la figure humaine qui, prise dans le fond, ne vient pas s’affirmer contre lui. Cependant, si l’on définit l’être humain comme être vertical, figure et fond ne désignent-ils pas deux espaces a priori en opposition, voire incompatibles ?

La reproduction du tableau de Roerich qui sert de décor à l’acte I est une forme de trompe-l’œil aux couleurs en aplat, adhérant à la surface, sans ombre. Il crée ainsi une perspective morte et construit un espace où le regard balaye la scène sur un plan frontal. La perte de profondeur est compensée par une expansion, une libération des motifs formés par les taches colorées des groupes de danseurs. Le tissu et les dessins des costumes relèvent d’un même espace plastique, d’un même tissu que le fond, de sorte que les figures humaines ne viennent pas mettre en danger le fond. Des formes-couleurs, des motifs chorégraphiques viennent se poser devant la surface du tableau, créant ainsi plusieurs plans pour un même tissu(28). Sur le fond se joue ainsi une superposition, un feuilletage de plans frontaux, organisé selon un principe de multiplication et d’équivalence des éléments visuels(29) : équivalence entre figures et fond, comme entre les corps ramenés par leur costume et la nature de leur geste au principe d’un motif décoratif multiplié. Ne pourrait-on envisager ce Sacre (où Nijinski rêvait de voir « des formes et des couleurs nouvelles » comme le sacredes figurants ? Celui de figures humaines qui, dans une égalité de statut esthétique, prendraient en charge non seulement la figuration d’un motif visuel et chorégraphique mais encore leur fonction, leur tâche d’actants dans un milieu sacrificiel ? De ce point de vue, la figure de l’Élue, en tant que danseuse étoile, est bien sacrifiée comme « figure unique » pour permettre la libération des figurants.

Communauté et impair

Le visage des figurants est couvert d’un masque de maquillage, identique pour tous. Si les danseurs ne sont pas singularisés, ils ne semblent pas pour autant dévitalisés. Ils ne sont ni entièrement suspendus et flottants, ni dissous dans l’arrière-plan comme les figures des mosaïques, ni ancrés dans le sol et séparés du fond comme des sujets autonomes. Les figurants définissent une relation au monde et une verticalité autres. En explorant les potentialités d’une seule posture, Nijinski invente un mode commun d’animation des figurants, un mode de « verticalisation » de la figure propre au Sacre. Très conscient de ce phénomène, Rivière décrivait ainsi le processus de création de Nijinski : « Il prend ses danseurs, il leur arrange les bras, il les tourne, il les casserait s’il osait, il travaille ces corps avec une brutalité impitoyable comme des choses, il leur impose des mouvements impossibles, des attitudes contrefaites.»(30) La posture inclinée et en dedans, qui identifie la pièce et que partage toute la communauté du Sacre, révèle un appui problématique avec le sol. Les pieds en dedans ne s’étalent pas au sol, n’en prennent pas la mesure sensible ; ils sont recroquevillés, et l’appui se fait le plus souvent par le bord extérieur du pied. Le boitement, dans ses multiples formes, marque ainsi les diverses marches ou courses des groupes. L’impair est à l’œuvre dans la structure globale de l’œuvre, dans la distribution numérique des groupes mais aussi dans le geste lui-même(31). Nulle continuité ne relie le corps au sol : cette communauté n’a pas vraiment les pieds sur terre, encore moins dans la terre. N’étant pas ancrés dans le sol, les corps ne peuvent investir physiquement aucun territoire.

Toujours incliné vers l’avant (suivant l’âge des groupes), le buste est peu mobile ; raidie, la colonne vertébrale n’ondoie pas et interdit toute amplitude du geste. Omoplates et hanches sont bloquées et empêchent l’extension de l’ensemble du corps. Le mouvement des membres n’engage pas le corps tout entier, et le geste de frapper du pied ou du poing, avec l’élan qui le permet, est rendu impossible. La prise du sol n’est qu’indiquée, elle n’est jamais effectuée. Rivière, grand analyste du mouvement s’il en est, écrivait à propos de ces « gestes maladroits et captifs » : « Le mouvement y est réduit à l’obéissance, il est sans cesse ramené au corps, rattaché à lui, rattrapé, tiré par lui comme quelqu’un dont on a saisi les coudes et qu’on empêche de fuir. C’est du mouvement qui ne part pas, à qui l’on interdit de chanter sa petite romance.»(32) Le geste de la conquête et son autre versant, celui de la fuite, sont les gestes absents autour desquels s’organise le système gestuel de cette communauté.

Le sacrifice du liant

Le visage, constant, les traits stylisés sous le blanc du maquillage, n’est pas une scène redondante de l’expression du corps. Selon Rivière, Nijinski n’a plus besoin de recourir, comme Fokine, à une mimique du visage, « cette ressource qui subvenait à une indigence du langage chorégraphique »(33). Le regard du danseur n’est ni introspectif ni projeté vers l’extérieur. Un autre mode d’expressivité du visage est à l’œuvre. Aucun échange de regards ne relie les figurants entre eux. Tels des sémaphores, ils donnent davantage à voir les signes de la lutte, de l’émotion, de l’échange (oui de la tête), que le combat, l’émotion ou le dialogue eux-mêmes. Ce corps articulaire, grossièrement segmenté (mains, avant-bras, bras, tronc, tête, jambes, pieds), met en œuvre un geste qui n’est pas touché par l’humeur ou un quelconque affect. Chaque mouvement suit la seule impulsion donnée par le centre moteur. L’inclinaison ou l’inclination n’est le fruit d’aucun épanchement. Le lien ne résulte pas du liant. En l’absence de tout continuum du mouvement comme de tout lien intercorporel(34), c’est à un sacrifice du liant, du legato (« la sauce », selon Rivière) que l’on assiste. Aucune circulation fluide du mouvement, aucun mouvement humoral interne ne sont perceptibles.

La construction du geste ne s’opérant pas par « le dedans », la communauté se livre aussi à un sacrifice de l’ego comme centre moteur. Elle peut ainsi construire une syntaxe gestuelle qui n’est pas organisée par l’émotion ou le flux et le reflux des humeurs, mais par la maîtrise des agencements articulaires. Cette reconstitution rend ainsi compte du développement du projet de Nijinski depuis L’Après-midi d’un faune, un projet dont il énonçait l’un des principes en ces termes : « Toute ligne sentimentale sera exclue, que ce soit dans la forme ou dans le mouvement.»(35) La petite romance de l’interprète, sa mélodie ou sa ritournelle posturale, viscérale, pneumatique est rejetée au profit d’une redéfinition de l’espace d’interprétation au sein même d’une écriture chorégraphique(36).

« Ils ont ramené dans la danse la netteté»(37), affirmait à ce propos Rivière. Bien visible, la figure n’est plus estompée par la fluidité des transitions, « le flottement », voire « une sorte de vague intérieur » ou « le voyage du danseur »(38) dans les plis de son auto-affection et le mouvement de ses sensations. « Aucun doute, aucune bavure, rien qui fit appel en moi à l’hésitation»(39), aucune « sauce » lyrico-gestuelle. La mise à distance de l’épanchement passe ainsi par la définition d’un geste aussi précis que possible, qui franchit les frontières de l’humain/inhumain et les limites de l’illusion naturaliste, pour errer plus librement dans le territoire des matériaux gestuels écrits.

Corps marionnettique

Le fantôme du corps marionnettique, essentiel à la recherche des avant-gardes théâtrales des années 1910 et 1920, ne vient-il pas ainsi innerver le projet chorégraphique de Nijinski ? Ne s’impose-t-il pas du fait même de la représentation d’un milieu sacrificiel ? Pour assurer la continuité et l’accomplissement du sacrifice, il importe, on l’a vu, que toutes les forces convergent vers la victime. Selon Marcel Mauss, cela implique une constance égale dans l’état d’esprit comme dans la gestuelle des participants, dont l’attitude interne doit correspondre à l’attitude externe : l’humeur ne doit pas venir perturber l’accomplissement de la tâche. La nature de ce geste ne conduit-elle pas à une forme de mise en effigie du corps même du danseur ?

Le corps de la marionnette a toujours été présent dans le travail de Nijinski. Dans Petrouchka, il interprétait le rôle-titre qu’il avait en partie chorégraphié et dont la posture était la cousine molle de celle des marionnettes du Sacre. Il incarnait une figure de clown tragique, au corps dépourvu de tension articulaire, refusé par la communauté, victime expiatoire ou bouc émissaire dont la résurrection finale soulevait la mauvaise conscience du groupe. Contrairement au Sacre, le danseur mimait le jeu d’une marionnette selon la rhétorique traditionnelle des passions liée au genre du ballet d’action. Dans L’Après-midi d’un faune, le modèle de la marionnette se décline encore autrement. La rupture avec la tradition du ballet est consommée, entre autres du point de vue du jeu du danseur. En réaction contre la pratique de l’incarnation d’un rôle ou de l’expression d’une profondeur psychologique, le geste devient mise en action du symbole. Il est porté par un corps dont la posture est impossible, comme coupé en deux, un corps biaisé, pris dans une « polydirection », interdisant tout face-à-face Faune/Nymphe, danseurs/public. Le corps métamorphosé des danseurs, devenus effigies de chair, n’absorbe plus toute l’attention du regard : il laisse entendre la tension entre la retenue du geste et le flux musical de Claude Debussy, il laisse voir le fond sur lequel se dessinent et se découpent les silhouettes (en particulier celle du faune, devenue l’icône même de cette danse dans l’imaginaire collectif). Surtout, il donne à voir le travail d’une écriture chorégraphique. Tout le théâtre de Nijinski nous apparaît hanté par le castelet, le théâtre de marionnettes, où s’animent les figurants du Sacre.

La naissance du chorégraphique semble ainsi accompagnée dès 1912 par un effort de mise en effigie du corps dansant. Dans L’Après-midi d’un faune, ce travail passait par un geste retenu, valorisant l’immobilité, la simple marche, proche en cela du jeu de l’acteur proposé, entre autres, par Anatole France, jeu d’un acteur au style de pierre antique, développant une grande économie de gestes, une rigueur minimale, une évolution lente. En revanche, dans le Sacre, l’enjeu dépasse l’échelle du duo central de L’Après-midi d’un faune. Il s’agit de découvrir ce que permettent cette nouvelle construction du corps et cette conception du mouvement écrit quand elles sont mises à l’épreuve du collectif et de l’interprétation.

À la suite de Guillemette Bolens(40), on pourrait définir un modèle de corps articulaire par opposition à celui d’un corps-enveloppe. Le corps articulaire s’organise, selon elle, à partir du jeu des articulations du système osseux (cou, épaules, coudes, poignets, hanches, genoux, chevilles) et reste en vie tant que les os sont joints ; ses blessures sont de l’ordre de la désarticulation, du démembrement, de la luxation, du déplacement, etc. Le corps-enveloppe, quant à lui, s’organise à partir d’une logique intérieur/extérieur, contenant/contenu. Ses points nodaux ne sont pas les articulations mais les orifices, et il reste en vie tant que les viscères demeurent à l’intérieur de l’enveloppe cutanée, protégés de l’extérieur ; ses blessures relèvent d’une ouverture de la surface par perforation, injection, incision, recouvrement, dilution, épanchement, etc.(41)p>

Or c’est bien d’une blessure d’ordre articulaire que souffre par deux fois l’Élue. Cette blessure est la raison même de son élection. Élue parce que trébuchante, elle n’a pas su préserver son équilibre entre ciel et terre. À travers cette hésitation, elle marque sa différence, et cette faute dans la syntaxe rituelle du geste, ce faux mouvement, l’exclut du cercle des adolescentes. Durant la danse sacrale, on découvre qu’il s’agit d’une blessure aux genoux : elle y porte les mains comme pour soulever une jambe ne pouvant plus se plier pour sauter. La fin de cette danse sacrale, où elle tourne sur elle-même et laisse s’écarter tous ses membres soumis à la force centrifuge, ne peut-elle être considérée comme la métaphore d’une danse de démembrement ?

Sacrifice, anarchie et révolution ?

Victime, l’Élue devrait progressivement sortir du monde profane pour acquérir, selon Mauss, son statut de figure sacrifiée. Pourtant, ce processus demeure à la fois ambigu et inachevé. Pour que le sacrifice ait lieu, il faut l’assentiment de la victime, qu’elle accepte sa fonction et que toutes les forces convergent vers elle, et en particulier ses propres forces. Sans cela, la toile de ce sacrifice sera traversée de tensions contradictoires, propres à amorcer le cycle de la vengeance, une levée d’interdits, un effet de catharsis incontrôlé, une régression ou, enfin, une contagion d’états plus ou moins catastrophiques. Or la danse de l’Élue, prise dans un jeu de tensions irrésolues, est soumise à des logiques diverses, voire contradictoires.

D’un même mouvement éjectée du cercle des adolescentes et élue, la victime est tenue à la fois au centre et à l’écart de la communauté. D’un point de vue chorégraphique, son solo est un condensé de tous les gestes de la tribu. Il n’explore pas un espace privé, il n’est pas non plus une variation romantique. Il rappelle et appelle, il condense à lui seul l’ensemble des gestes de la communauté pour en relancer les dynamiques. On pourrait analyser la manière dont chaque geste que l’Élue reprend du groupe est modifié par un léger changement d’orientation, par une extension nouvelle, par une autre accentuation. Pourtant, elle ne semble pas danser pour les autres ni au nom des autres, ni avoir la charge d’incarner la nécessité supérieure de la communauté. Par le jeu du regard, le destinataire de cette danse est multiple ou indéterminé : l’Élue danse-t-elle pour les dieux, pour la nature, pour le public, pour les ancêtres, pour elle-même ou pour tous à la fois ? C’est en étant séparée qu’elle peut s’articuler à la communauté : ni en dedans ni en dehors, à la fois profane et sacrée, déchue et élue, banale et unique, elle n’incarne pas une figure sacrée héroïque et christique, ni une victime profane prise comme bouc émissaire.

Le sacrifice de ce corps articulaire atteint les limites de sa représentation pour laisser apparaître un nouveau corps : un corps non seulement désarticulé mais aussi essoufflé, soumis cette fois aux échanges du souffle – intérieur/extérieur. C’est par l’essoufflement et par l’introduction d’une temporalité liée à la fatigue de l’interprète, fatigue des échanges pulmonaires, que se fait le retour au corps-enveloppe, au sujet viscéral et humoral. La temporalité de la danse de l’Élue échappe ainsi en partie au système chorégraphique sacrificiel et laisse deviner une part maudite, une dépense non récupérable au sein d’une temporalité pourtant prévue. Un moment d’anarchie trouble le système. Le sacrifice libérera-t-il in fine la possibilité d’une danse sans dieu ni maître ? Cette dépense insuffle-t-elle une inspiration collective, un souffle commun aux ancêtres qui, d’un même geste, s’apprêtent à soulever l’Élue du sol ? Cette danse rituelle, bien qu’elle mette en jeu désarticulation et essoufflement, pourrait permettre à la communauté de se remembrer, d’accroître ses capacités motrices, de retrouver son souffle. Si un souffle épique anime ce final, ce n’est pas pour célébrer une transcendance, mais le souffle lui-même de la dépense d’un animal scénique. Si l’Élue meurt en sautant, son sacrifice ne viendra-t-il pas libérer tous les autres bonds ?

Pourtant, les bonds de l’Élue, à la verticale, indiquent une extension vers le ciel et l’au-delà tout en la contrariant : la stabilité de l’axe, la tête de face, un bras tendu, le poing fermé vers le ciel, rien ne permet l’abandon dans l’extension. L’élévation demeure retenue, inaboutie, et l’ouverture vers l’au-delà est combattue au sein du geste même. Puis l’Élue tourne sur elle-même jusqu’au vertige, et chute, comme un enfant peut le faire : un geste qui la sépare du monde. À l’instant final de sa danse, avant de s’effondrer face au ciel, elle inverse ainsi la dynamique centripète de l’acte par un geste centrifuge qui renvoie ou rejette le bénéfice des forces magiques vers l’extérieur. Prix de cette inversion, elle perd ses repères spatiaux et la faculté de s’orienter, mais l’évanouissement ouvre la possibilité d’une nouvelle orientation, notamment vers le ciel(42) jusque-là absent pour la communauté. Il libère l’élan des assistants qui accompagnent l’Élue. Dans son évanouissement final, la charge de sa disparition semble levée par le mouvement d’inspiration collective des ancêtres qui la porte. La communauté ne supporte pas le poids symbolique d’un corps mort(43), elle porte physiquement sa propre possibilité d’allégement.

La présence du sacrificateur est ambiguë, bien qu’il reste immobile. Il assiste et cache l’Élue, la protège et la cerne tout à la fois. De même, les ancêtres à la peau d’ours l’accompagnent de leur présence, tout en demeurant à bonne distance du foyer sacré pour ne pas partager son sort. Mais ils sont aussi suffisamment proches pour qu’une contamination puisse se faire. Tout en restant en relation avec le monde des hommes-ours, l’Élue avance ainsi vers un état magique, toujours plus intouchable à chaque reprise de sa danse puisqu’elle finit par tourner sur elle-même. L’interdit de la toucher est levé au moment-même où elle tombe au sol.

La mise en scène de cette kinesthésie n’ouvrirait-elle pas sur une dimension matérialiste du sacrifice, n’appelant aucune transcendance ? Si l’Élue accepte sa tâche dans le système sacrificiel, elle ne renonce pas pour autant à l’organisation de sa propre jouissance : aucun geste d’abnégation ou de désintéressement qui en ferait une héroïne, pas de mouvement d’offrande de soi au bénéfice des autres ou d’une idée de la communauté ni d’éloge glorifiant d’un sujet moral. Son sacrifice n’est pas destiné à devenir le modèle de l’acte moral, sa danse n’est pas soumise à l’unité d’un vouloir et d’un vouloir éthique. L’Élue ne s’abandonne pas à l’esprit du sacrifice, elle semble plutôt entrer dans un état magique, celui d’un moi qui ne connaît pas de barrières sauf celles de son propre épuisement, un moi soumis aux raisons du corps qui organisent le flux multiple des pulsions sensibles.

La sortie du sacrifice n’a pas lieu. Le mouvement de désacralisation de la victime est laissé en friche. La pièce s’achève à son acmé et la fin reste suspendue à cette dépense. D’un point de vue idéaliste, le sacrifice demeure inachevé ; d’un point de vue matérialiste, il est pris dans le mouvement d’un devenir. Ainsi, ce qui se donne pour la représentation d’un rituel, pris dans un temps cyclique et dont la fonction serait de renouveler du déjà-là, contiendrait un événement qui excéderait cette représentation : la possibilité d’un moment révolutionnaire au sein du rituel. L’événement de l’interprétation, cette prise de parole singulière, mettrait à l’épreuve l’ordre chorégraphique qui l’a permis.

Un modernisme « démonté »

Cette recréation du Sacre du printemps semble ainsi témoigner des mécanismes d’un système sacrificiel archétypal, d’une fiction unitaire participant aussi d’une des formes d’« essentialisation » du sacrifice du début du xxe siècle, inaugurée par le texte de Mauss à la fin du xixe siècle. Pourtant, Nijinski organise son indétermination. Rien ne permet d’établir la certitude d’un sens au sacrifice, d’assurer la présence d’une instance transcendante. Dès lors, le sacrifice fait apparaître ce qu’il s’attachait à cacher, sa violence comme sa jouissance nue, l’existence d’une dépense irrécupérable que seul le système chorégraphique rend possible. L’excès et la dépense dont le solo témoigne ne sont pas entièrement récupérés par le système sacrificiel, ils le débordent et minent en retour le milieu tout entier, ensauvageant la communauté attentive, captée par la danse d’une bête de scène.

Ce Sacren’est-il pas un vaste atelier expérimental de montage chorégraphique ? L’attention du spectateur est en effet constamment traversée, plus que perturbée, par d’autres dynamiques. Rien ne participe à la mise en place des effets dramatiques que le récit laisse présager ou à la prise en otage des affects du spectateur par une redondance des éléments spectaculaires. Au contraire, le processus spectaculaire tout entier travaille à une séparation des éléments musicaux, gestuels, décoratifs et, de ce fait, à leur (dés)articulation singulière. La désarticulation des syntaxes hante la communauté des arts ou des matières sonore, visuelle, gestuelle et chorégraphique, l’organisation des groupes et l’articulé même du corps. Couleurs, sons, gestes résistent à leur mélange, à leur fusion au profit d’une polychromie, d’une « polyrythmie », d’une « polydirection » continue. À ce titre, Le Sacre du printemps ne pourrait-il apparaître comme un spectacle d’art « anti-total » ? Un spectacle où chaque art prendrait en charge la question de la communauté des arts, jusqu’aux limites de la propre esthétique que lui accorde son temps. Un spectacle où Nijinski prendrait appui sur les débuts de l’aventure moderniste pour la faire imploser comme pour en souligner les possibles.

On pourrait s’interroger in fine sur le sens, en 1913, de cette présentation d’une communauté perdue et dérisoire qui peut sembler bien décalée au regard des enjeux politiques de ces années-là. Elle affirme en effet son ignorance, sa séparation à l’égard d’un monde politique qui organise et contrôle la circulation des flux monétaires et migratoires, dont la guerre est un moteur essentiel. Elle semble par là refuser le mode des échanges de sujets fluctuants et opportunistes, soumis au gré de leurs affects et de leurs rapports de force. Il semble qu’un artiste comme Nijinski, dont l’aversion pour l’argent, le conflit, le progrès technique, l’organisation capitaliste du spectacle, fut par la suite source de souffrances immenses(44), avait de fait peut-être tout à perdre de cette dimension-là du politique. Et si son castelet chorégraphique devient lieu d’une vérité, il semble plutôt nous renvoyer hors de l’humanisme, hors du psychologisme, hors enfin d’une sphère politique elle-même fondée sur une philosophie du sujet.

Plutôt que d’un désir de retour utopique à la communauté primitive, cette communauté fondée sur l’absence du geste conquérant ne témoigne-t-elle pas de la tentative de préserver une dépense qui ne rend pas victime et relance sans le vouloir de nouvelles possibilités de vie ? Ne révèle-t-elle pas la nécessaire et dérisoire raideur d’une communauté de corps impossibles, à la fois séparés et à la limite d’être (dés)articulés, movers(45) s’abandonnant à une tâche magique définie par la loi chorégraphique ? Elle semble autant signaler une issue qu’une impossibilité pour ceux qui « vivent au milieu de nous comme au milieu d’une steppe(46) », et dont la seule présence constitue un scandale.

Notes

1 Jacques Rivière, « Le Sacre du printemps », Nouvelle Revue française, août 1913, p. 70. Il s’agit de l’étude la plus stimulante qu’il nous ait été donné de lire sur Le Sacre du printemps d’Igor Stravinski, Nicolas Roerich et Vaslav Nijinski.
2 Ibid., p. 92.
3 Ce ballet, interprété par la compagnie de répertoire du Joffrey Ballet, fut présenté à Paris pour l’ouverture de la saison 1990-1991 dans le lieu même de sa création (le 29 mai 1913, au Théâtre des Champs-Élysées). Il fut filmé en 1989 et diffusé sur Arte dans le cadre d’une soirée thématique sur Le Sacre du printemps. Beatriz Rodriguez tient le rôle de l’Élue dans cette version.
4 Millicent Hodson s’est appuyée sur la partition annotée, mesure par mesure, par Marie Rambert qui assistait aux répétitions, sur des dessins, des croquis, des sources écrites, des témoignages oraux. Voir son analyse de ce processus de reconstruction dans « Puzzles chorégraphiques, reconstitution du Sacrede Nijinski », Le Sacre du printemps de Nijinski, Paris : Cicero, coll. « Les carnets du Théâtre des Champs-Élysées », 1990, p. 45-73.
5 Nicolas Roerich (1874-1947) était membre du Monde de l’Art, peintre, ethnographe, archéologue, collectionneur, féru d’histoire et de mythologie comparée, spécialisé dans l’histoire religieuse de l’Inde, du Tibet et de l’Asie centrale. Lié au mouvement néo-primitiviste slave, il fut aussi familier de la communauté Talashkino, foyer utopique d’un retour aux racines slaves, organisé autour de la princesse Tenichev, propriétaire d’une grande collection d’art traditionnel russe, vivant près de Smolensk. Voir à ce sujet l’ouvrage essentiel de Lynn Garafola, Diaghilev’s Ballets Russes, New York : Oxford University Press, 1989, p. 63-75 ; Millicent Hodson, « Nijinski’s Choreographic Method, Visual Sources from Roerich for Le Sacre du printemps », Dance Research Journal, vol. 18, n° 2, hiver 1986-1987 ; Kenneth Archer, « Nicolas Roerich et la genèse du Sacre», Le Sacre du printemps de Nijinski, op. cit., p. 75-95.
6 Jacques Rivière, « Le Sacre du printemps », op. cit., p. 71.
7 Nous n’aborderons que brièvement cette question qui relève à la fois de l’exégèse de l’œuvre et d’une approche culturelle comparée hors de notre propos.
8 Quelques poèmes de Roerich témoignent de son état d’esprit : « Ils se souviendront de qui a nommé les monts et les fleuves […]. Paroles à nous inconnaissables. Et de nouveau nous changerons […]. Mais apparaîtront les signes sacrés, on ne les reconnaîtra pas. Mais ils construiront la vie. Où sont donc les signes sacrés ? » (poème de 1915, traduit et cité par L. Robel, L’Avant-Scène Ballet Danse consacré au Sacredu printemps, n° 3, août-octobre 1980, p. 8-10).
9 Au tout début du siècle, la vogue des danses « ethniques » relève de cette quête, de même que le désir de réinvention de formes rituelles et liturgiques.
10 Essai sur le sacrifice, 1899 ; Introduction à l’analyse de quelques phénomènes religieux, 1906. Textes republiés en 1968, dans Marcel Mauss, Œuvres, t. I : Les fonctions sociales du sacré, Paris : Minuit, 1968.
11 Marcel Detienne et Jean Pierre Vernant, La Cuisine du sacrifice en pays grec, Paris : Gallimard, 1979, voir « Pratiques culinaires et esprit de sacrifice », p. 8-35.
12 Jacques Rivière, « Le Sacre du printemps », op. cit., p. 28.
13 Ibid., p. 33.
14 Detienne résume ainsi son point de vue : « Si l’imagination chrétienne a bâti, selon Mauss, le sacrifice sur des plans antiques, il n’est pas moins vrai, que l’imagination de Mauss et de biens d’autres sociologues, a bâti sur des plans chrétiens » (Marcel Detienne et Jean Pierre Vernant, La Cuisine du sacrifice en pays grec, op. cit., p. 28).
15 Rappelons ici l’argument et le titre des scènes qui le compose : acte I, « L’adoration de la terre » : « Les augures printaniers », « Jeu du rapt », « Rondes printanières », « Jeux des cités rivales », « Procession du Sage », « Adoration de la terre-le Sage », « Danse de la terre » ; acte II, « Le grand sacrifice » : « Le cercle des adolescentes », « Glorification de l’Élue », « Évocation des ancêtres », « Action rituelle des ancêtres », « Danse du sacrifice ».
16 C’est ainsi que Rivière définit la musique du Sacre (Jacques Rivière, « Le Sacre du printemps », op. cit., p. 81).
17 Dans son étude de 1899, « Essai sur la nature et la fonction du sacrifice », Œuvres complètes, t. I, Paris : Minuit, 1968.
18 Jacques Rivière, « Le Sacre du printemps », op. cit., p. 82.
19 Le témoignage de Bronislava Nijinski, danseuse et chorégraphe (par ailleurs sœur de Nijinski), est précieux de ce point de vue. Dans ses mémoires, elle décrit en effet comment chorégraphe et interprète travaillaient dans l’économie des Ballets russes.
20 Référence à Gordon Craig, Maurice Maeterlinck en passant par Alfred Jarry, Anatole France, etc. Voir à ce sujet l’étude de Didier Plassard, L’Acteur en effigie : figures de l’homme artificiel dans le théâtre des avant-gardes historiques, Allemagne, France, Italie, Genève : L’Âge d’Homme, coll. « TH 20 », 1992. Ainsi le castelet, le théâtre de marionnette, devient le lieu d’expression privilégié pour la mise en scène, par exemple, de Shakespeare ou des tragiques grecs.
21 Pour l’acte I, « L’adoration de la terre » : 25 hommes (6 garçons, 5 adolescents, 5 jeunes hommes, deux fois 4 aînés, le Sage) et 21 femmes (7 jeunes filles, 3 petites jeunes filles, 7 jeunes femmes, 3 grandes femmes, la vieille femme). Pour l’acte II, « Le grand sacrifice » : 13 femmes (trois fois 4 jeunes filles, l’Élue) et 20 hommes (deux fois 7 ancêtres, 6 grands ancêtres à la peau d’ours). (Sources : archives de l’Opéra de Paris, dossier œuvre, documents du Joffrey Ballet).
22 Jacques Rivière, « Le Sacre du printemps », op. cit., p. 76.
23 On pourrait décrire le récit rythmique de tous ces unissons mais ce serait là l’objet d’une étude à part.
24 Jacques Rivière, « Le Sacre du printemps », op. cit., p. 87.
25 Ibid., p. 87-88 (c’est nous qui soulignons).
26 Termes employés par Elias Canetti dans Masse et puissance, Paris : Gallimard, coll. « Tel », 1965.
27 Le lien entre fond et figure, comme la question de la décoration furent l’une des questions importantes de l’histoire de l’art au début de ce siècle, de Matisse, après 1910, à son retour de Russie et du Maroc où il a découvert l’art islamique, à Malevitch dans sa dernière période. Elle est au travail d’une autre manière dans ce Sacre.
28 Ce principe était présent dans L’Après-midi d’un faune, bien que sous d’autres modes.
29 « Croissez et multipliez », telle serait la double exigence du motif dans l’art décoratif, un principe qui organiserait une figure non close, ouverte, capable de se propager, selon Pierre Schneider dans un bel article « Figure et décoration », in Le Maroc de Matisse, Paris : Institut du monde arabe, 1999.
30 Jacques Rivière, « Le Sacre du printemps », op. cit., p. 91.
31 Ce travail de l’asymétrie, du boitement, de la faille, de l’impair, présent dans toute la pièce, pourrait être en soi un sujet d’étude.
32 Jacques Rivière, « Le Sacre du printemps », op. cit., p. 86.
33 Ibid., p. 90.
34 « Il n’est plus obligé de mettre du liant entre les gestes successifs, ni de penser sans cesse à la suite, il ne réserve rien de lui-même pour la transition », notait encore Rivière (ibid., p. 90).
35 Bronislava Nijinska, Mémoires 1891-1914, Paris : Ramsay, 1981, p. 279.
36 En cela, Nijinski abandonne, par ailleurs, toutes les qualités techniques (de sauteur comme de tourneur, le ballon, la puissance, la vélocité) et les qualités esthétiques (l’art de la transition et du délié) qui avaient fait son succès comme danseur-interprète des Ballets russes et de Fokine en particulier, dans Le Spectre de la rose notamment.
37 Jacques Rivière, « Le Sacre du printemps », op. cit., p. 83.
38 Ibid., p. 84.
39 Ibid., p. 83.
40 Guillemette Bolens, La Logique du corps articulaire : les articulations du corps dans la littérature occidentale, Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2000.
41 Guillemette Bolens analyse la nature des blessures des héros dans diverses mythologies. Elle oppose ainsi le corps articulaire d’Achille, extrêmement mobile, dont les blessures articulaires affectent les capacités motrices, le corps-enveloppe d’Ulysse, reconnu par sa nourrice à sa cicatrice (à l’entame de l’enveloppe cutanée), et le corps-enveloppe de Roland qui meurt en soufflant dans son cor jusqu’à en crever ses tympans et dont la cervelle sort par les oreilles. Pour l’honorer, Charlemagne lui ouvrira la poitrine et y prendra son cœur.
42 Direction déjà indiquée par le Sage qui regarda le ciel par en dessous, avant de venir baiser la terre.
43 De ce point de vue, Pina Bausch, dans sa lecture du Sacre du printemps, prend des partis pris gestuels, kinesthésique, esthétique et politique radicalement opposés à ceux de Nijinski.
44 Comme en témoignent ses Cahiers, parus aux éditions Actes Sud dans leur version non expurgée.
45 Terme employé par Gordon Craig pour désigner l’acteur idéal.
46 Citation de Jacques Rivière au sujet des personnages du Sacre, citée en exergue de ce texte.