Focus Dood Paard (Fr.)

Kaaitheater bulletin Mar 2003French

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Il est soudain de bois.

Le ventre chaud est froid.

Ainsi vieillit le monde.

Ses pattes sont trop courtes.

De I’ avoine gît éparpillée hors de la bouche,

qui jusqu'a peu pouvait vous broyer les doigts.

Ses dents jaunes rugissent

contre qui à la mort l’ envoie. Ses yeux,

des coquilles d’ œufs

L'écorcheur vient le chercher.

(Gerrit Achterberg)

 

La mort

En 1993, Manja Topper, Kuno Bakker et Oscar van Woensel terminent tous trois leurs études d'art dramatique à Arnhem. Ils décident de rester ensemble et de former un groupe, un triumviral. Est-ce le hasard qui a voulu qU'i1s se soient laisses inspirer par ce poème de Gerrit Achterberg pour le nom de leur collectif? (Dood Paard signifie Cheval mort) Le hasard n'existe pas. Ce poème se termine par le vers: «l’écorcheur vient le chercher». On a parfois I’ impression lorsqu'on assiste à un spectacle de Dood Paard - qu'i1 s'agisse de textes écrits par Oscar van Woensel ou d'adaptations de textes d'Eschyle, Shakespeare, Wilde, Albee etc. - que tout se passe (,juste avant que I’ écorcheur ne vienne les chercher». Jouer, pour Dood Paard, veut souvent dire donner forme au moment qui précédé immédiatement la mort (violente). Ce «dernier long moment avant la mort» coïncide avec la vie des personnages, et même quand leur propre mort est encore lointaine, son inéluctabilité est toujours tangible: la mort est toujours en chemin. Alors même que dans Wie ... (1996), les cinq frères et sœurs s'entretiennent en bas, les parents défunts gisent dans la chambre à coucher...

 

Des créateurs autonomes de théâtre

En 1995 Gillis Biesheuvel se joint au groupe, et Sara De Roo (Tg Stan) participe régulièrement aux productions. Dood Paard monte en dix ans une trentaine de spectacles. Depuis janvier 2001, i1s disposent de subventions structurelles. C'est une compagnie avec une solide éthique de travail et une grande cohésion. Ils travaillent sans metteur en scène et font appel à des collègues, souvent les mêmes, pour entourer leur noyau fixe d'acteurs. Manja Topper: «Les gens avec qui nous travaillons doivent aussi être des créateurs. » Dans leur choix d'acteurs autonomes qui veulent porter ensemble I’ entière responsabilité d'un spectacle, Dood Paard s'affiche I’ héritière des prises de positions artistiques émancipatrices de Maatschappij Discordia. C'est cette soif d'autonomie artistique, présente des les débuts de Dood Paard, qui forme le lien qui relie des artistes comme Topper, Bakker, Van Woensel, Biesheuvel etc. Ce n'est d'ailleurs pas par hasard que leur toute première production s'intitulait A world of their own. Ces jeunes acteurs voulaient/veulent s'exprimer sur le monde, exprimer leur colère ou leur désarroi face a la société, donner une forme a leur sentiment d'impuissance...
Dood Paard appartient à la génération de gens de théâtre qui ont fait leur entrée professionnelle dans le paysage artistique d'après la chute du mur de Berlin, mais ils sont loin de partager l'euphorie du monde européen pour la globalisation 3outrance. Leurs textes sont humoristiques, souvent incisifs, jamais divertissants; i1s ne sont enthousiastes que dans la destruction. Pour ces raisons, Dood Paard est souvent taxé de cynisme, un de cynisme, un cynisme qui s'exprime avant tout dans le choix des textes qu'ils écrivent ou adaptent. Pourtant, i1s n'ont jamais fait du théâtre à partir d'une optique politique définie, pas plus qu'i1s ne se sont jamais explicitement élevés contre l’ordre établi.

 

Univers

De l’œuvre de Shakespeare, ils ont jusqu'ici choisi des pièces (Coriolanus, Titus Andronicus, Julius Caesar, ...) dont la cruauté, la volonté de puissance et la guerre définissaient le ton. Ces pièces ont confronte les acteurs du «temps de la culture de l’image» qu'ils sont, avec les problèmes de la représentation de la violence sur la scène. Virginia Woolf d'Albee et Silicone de Rijnders sont aussi des pièces qU'on peut difficilement qualifier de désopilantes. Le ton et la couleur de l’univers de Dood Paard sont en grande part définis par les textes que I’ acteur Oscar van Woensel a écrits pour le groupe en tant qu'auteur attitre de la maison. Son univers d'écrivain est parallèle à l’univers artistique du groupe. Van Woensel a fait ses débuts dans l’écriture théâtrale avec trois «pièces familiales» - Drie Familietragedies, Wie ... et Tussen ons gezegd en gezwegen, datant respectivement de 1994, 1996 et 1997 -, dans lesquelles on peut voir évoluer des familles avec des parents couronnes de succès mais souvent morts et des enfants paumes, qui se rencontrent, se parlent beaucoup et espèrent ainsi – à grand renfort d'alcool - digérer leurs traumas et trouver des réponses 3 leurs questions existentielles; mais ni les traumas ni les questions ne sont résolus. Ces jeunes adultes sont poursuivis par l’angoisse et l’aliénation émotionnelle. La question cruciale de l’identité personnelle (Wie... veut dire «qui...»et donc «Qui suisje? ») est une question qu'ils n'osent pas se poser.
La griserie et l’oubli qu'offre l’alcool sont omniprésents, mais la conscience et la lucidité concernant le vécu personnel et le monde extérieur ne sont jamais complètement oblitères. La griserie n'est d'ailleurs jamais festive, ne conduit jamais 3I'oubli momentané du soi, au soulagement, mais plutôt comme le décrit Kurt Vanhoutte « un délire qui laisse un sentiment positif et surtout énergique». Ces jeunes adultes osent boire jusqu'à la lie, mais leur vitalité est plus forte que leur cynisme. Les pères et les mères sont absents/partis/morts, dans le monde de Van Woensel ; il n'y a pas de génération plus âgée pour exercer une influence positive, pour aider et diriger. Ces jeunes adultes doivent voler de leurs propres ailes. Dans Illias, l’adaptation que Van Woensel vient de faire de I’ épopée de Homère, le monde des petites gens est vu par la lorgnette des dieux: pour la première fois, une «génération qui fait autorité» apparait, mais hélas, elle se comporte avec autant d'insouciance et d'illogisme que les mortels ou que les personnages plus jeunes des autres pièces.

 

Personnages

Ce que les personnages que Dood Paard met en scène ont en commun, est le fait qu'i1s parient les uns avec les autres mais aussi qu’ lis s'écoutent les uns les autres. Dans ces entretiens, leur arrive souvent de se blesser, mais ils font tout leur possible pour ne pas le laisser voir. Le théâtre de Dood Paard est en essence un dialogue et non un monologue, comme il en est le cas de nombreuses pièces actuelles. Le choix de textes d'Albee, Wilde, Rijnders, De Graaf, Van Woensel lui-même et évidemment aussi de textes de Shakespeare, est sans doute lie à la thématique traitée dans ces pièces, mais aussi à la façon dont cette thématique est racontée. Même lorsque Van Woensel veut transmettre une matière aussi épique que la guerre de Troie, il choisit de la mettre en scène comme une compagnie de gens assis a bavarder autour d'une table. Ce choix est, on s'en doute, défini en partie par le fait que Dood Paard est avant tout un théâtre d'acteurs, dont l’un des acteurs s'est prouve aussi être un écrivain. Dans une structure de monologue, I’ auteur peut apriori faire part de ses propres pensées, il peut les ordonner, les diriger et laisser libre cours asa propre imagination. Mais qui veut rendre un contenu par des entretiens et des personnages, est tat ou tard confronte au fait que les caractères se mettent à vivre leur propre vie et échappent quasiment à l'auteur.

 

Jeu

A travers leur travail, les acteurs/auteurs de Dood Paard sont arrives au fil des ans à la conclusion que l’homme n'est pas un être rationnel. Oscar van Woensel: «D'après nous, l’homme n'est pas gouverne par la raison, donc pourquoi essayerons-nous de le nier au théâtre. Nous recherchons l’illogisme. Cela rend les personnages capricieux, dangereux et imprédictibles.» Dood Paard met en scène des gens déniés de tout code moral, des gens pour qui l’anormalité est "normale». Le regard qu'ils portent sur les agissements humains a évidemment des répercussions sur la maniéré de jouer. Le jeu de Dood Paard est souvent décrit comme un jeu sec et froid. Eux-mêmes définissent leur interprétation comme «jouer en citant». "On indique quelque chose, on laisse aller et on espéré que le spectateur se mette a réfléchir, a fantasmer et a remplir les blancs.» La relation «normale» entre l’acteur et le personnage est inversée. L’acteur n'essaie pas d'entrer dans la peau du personnage, mais: "Nous cherchons les catés, les entrées et les possibilités qui permettent.

 

Langage

Dood Paard accorde une grande importance au répertoire; répertoire, non seulement dans le sens de l’intérêt pour le réservoir historique de textes de théâtre, mais aussi dans le sens de «jouer le répertoire», c'est-il-dire remettre à jour des pièces qu'i1s ont déjà jouées, les remettre en scène, les replacer dans l’époque actuelle. Ils partagent cet amour et ce respect pour le répertoire avec Maatschappij Discordia. Pourtant, cette vénération pour les textes est loin de paralyser le collectif d'acteurs: i1s adaptent, transforment et déforment les textes, les faisant s'accorder avec l’époque, et avec eux. Le langage est avant tout un moyen pour jouer et un moyen pour communiquer; mais le langage a encore une fonction auxiliaire. Dans des spectacles comme Medea et Blaat, la médiatisation et le déclin du langage sont un véritable miroir pour la médiatisation et le déclin de la société. C'est peut-être dans l'usage qu'i1s font du langage que se lit le mieux la synthèse de Dood Paard: du théâtre de jeu débordant de vie ET du théâtre de texte ET du théâtre politique. Oscar van Woensel dans une de ces rubriques: "Je n'ai jamais vécu dans l’hypothèse que l'on ne doive pas faire de politique en tant qu'homme de théâtre. Au contraire. Je la considère un élément important de la démarche. Je vois aussi man travail comme une possibilité de donner voix a l'idéalisme. Et pour être idéaliste, il faut d'abord définir sa position par rapport il la réalité, d'après moi.»

 

(Traduction Monique Naglelkopf)