Focus Tg Stan (Fr.)

Kaaitheater bulletin May 2003French

item doc

“L’art tombe vite en décadence, mon enfant, lorsque l’artiste s’abstient, se laisse troubler, s’abstient ne fût-ce qu’un instant.”

(Thomas Bernhard)

  

Tg Stan.

Tg signifie “toneelspelersgezelschap” (compagnie d’acteurs de théâtre) et Stan “Stop Thinking About Names”. Leur histoire ressemble à celle de Dood Paard, mais Stan est venu en premier. En 1989, une classe de théâtre rebelle termine ses études au Conservatoire d’Anvers. Elle était constituée de Jolente De Keersmaeker, Damiaan De Schrijver, Waas Gramser et Frank Vercruyssen. Ils avaient eu des cours e.a. de Dora Van der Groen.
Pour leurs deux projets de fin d’étude, ils ont imposé de pouvoir choisir eux-mêmes avec qui ils travailleraient. Le résultat fut Achter de canapé/ Yvonne op, basé sur Yvonne, Princesse de Bourgogne de Witold Gombrowicz, avec Matthias de Koning de Maatschappij Discordia comme conseiller, et Jan, scènes uit het leven op het land, inspiré de Oncle Vania de Tchekov, avec Josse De Pauw comme accompagnateur.Ainsi, ces jeunes acteurs montrèrent tout de suite clairement où et comment ils voulaient se situer dans le paysage théâtral de Flandre et des Pays-Bas.
Très vite, le groupe fut rejoint par Sara De Roo, qui avait terminé ses études deux années d’après. Après quelques saisons, Waas Gramser a fondé avec Kris van Trier la structure Maten, qui, après une fusion avec d’autres acteurs, opère maintenant sous le nom de De Onderneming. Assez rapidement aussi, Thomas Walgrave a commencé à collaborer en tant que scénographe, technicien et responsable de la production permanent. Dans ses annonces destinées au monde extérieur, Stan prend l’habitude de mentionner sous l’en-tête “un spectacle de...” tous les collaborateurs du spectacle (y compris, par exemple, les collaborateurs administratifs). Ils considèrent toute production comme l’oeuvre d’une collectivité, où chacun détient une partie de la responsabilité du contenu.

  

Aller vers d’autres

“La souveraineté de l’acteur doit être reconnue sans réserves. (...) Le comédien totalise en lui et exprime les innombrables formes d’une vie-en-devenir.”

(Herman Teirlinck)

 

Pour le public, cette collectivité est cependant en premier lieu une compagnie d’acteurs de théâtre. Mais d’un type particulier. Dans la collectivité telle que définie par Stan, l’évolution personnelle permanente de chaque membre du groupe est à la base de l’évolution de la collectivité. De la masse de projets et d’idées de spectacles qui sont mis sur la table chez Stan résultent parfois des projets où les quatre acteurs – rejoints ou non par d’autres – sont ensemble sur scène, mais aussi, souvent, des solos ou des duos; de plus, chacun des quatre acteurs participe régulièrement à des représentations avec des personnes ou des compagnies extérieures à Stan.
Le fait d’”aller vers d’autres”, d’échanger des expériences avec des personnes extérieures du même bord est une composante essentielle de la méthode de travail de Stan et une garantie du maintien de la vitalité du groupe. Au cours des années s’est ainsi développée une collaboration privilégiée avec d’autres troupes comme Dito’Dito, Maatschappij Discordia, Dood Paard, Compagnie de Koe et Rosas. A côté de la trajectoire de la troupe et en interaction avec celle-ci, Sara De Roo, Frank Vercruyssen, Jolente de Keersmaeker et Damiaan De Schrijver suivent aussi leur propre chemin et incarnent, avec d’autres en Flandre, cette tradition qui se renforce peu à peu de l’acteur autonome, de l’homme de théâtre émancipé qui décide lui-même quel projet il choisit et avec qui il désire le réaliser.

Sara De Roo joue souvent avec la troupe néerlandaise Dood Paard, mais a aussi réalisé des projets avec Steven van Watermeulen (ro theater) (e.a. Lucia smelt d’Oscar van den Boogaard) et avec la cinéaste Dorothée van den Berghe. Jolente De Keersmaeker a développé une proche collaboration avec sa soeur Anne Teresa dans des spectacles de danse qui combinent texte et mouvement (e.a. Just before, I said I) et écrit aussi des textes. Damiaan De Schrijver est souvent sur scène avec Matthias de Koning de la Maatschappij Discordia et avec Peter van den Eede de la Compagnie De Koe (par exemple dans My dinner with André et du serment de l’écrivain du roi et de diderot). Et Frank Vercruyssen joue dans des films, réalise au sein de Stan ses solos (ou presque) politiques et collabore à des coproductions de Stan et Rosas comme Quartett…
Mais Stan est bien plus que la contribution de ses différents membres. L’attention portée par Sara De Roo aux problèmes relationnels et même “féminins”, la voix de Frank Vercruyssen résolument engagée en politique, l’intérêt de Damiaan De Schrijver pour les racines de la comédie hilarante, l’apport dramaturgique de Jolente De Keersmaeker par laquelle la langue peut aussi être mouvement, ne sont pas seulement “partagés” à chaque fois avec les trois autres, mais ce qui les réunit par-dessus tout, ce sont l’enthousiasme inspirateur issu de l’autogestion artistique de la troupe, la recherche d’aliments puisés à toutes sortes de textes (le répertoire mondial, des pièces récemment écrites, un matériau aux origines les plus diverses), un regard critique sur le train du monde et un questionnement permanent sur la pratique artistique et le travail du comédien en particulier. Le côté direct, l’intelligence, la conscience critique, la vigilance, le doute et une relation ouverte et honnête avec le public caractérisent l’œuvre de cette troupe théâtrale.

 

Méthode de travail

“L’idéal d’un comédien est de monter sur scène sans préparation. C’est sa plus grande angoisse et en même temps sa plus grande force.”

(Jan Joris Lamers)

 

La méthode de travail de Stan est comparable à celle de troupes du même bord comme Maatschappij Discordia ou Dood Paard. Dans une conversation avec l’acteur du Wooster Group Ron Vawter peu avant sa mort en 1994 (Theaterschrift 7), Frank Vercruyssen a résumé cette méthode de travail comme suit: “Lorsque nous allons utiliser un texte, nous le traduisons avec toute la troupe d’acteurs; nous comparons différentes adaptations et traductions. Cela dure environ sept semaines: c’est pendant cette période que la patience joue un grand rôle, la patience avec les autres. Nous pouvons parfois discuter pendant une heure sur un seul mot, par exemple pour décider si nous allons traduire “hardly” par “à peine” ou par “pas vraiment”. A la fin, nous obtenons un texte qui nous satisfait, qui sert l’auteur, qui est débarrassé du superflu. Ensuite, nous disposons encore de deux semaines. Nous lisons le texte autour de la table jusqu’à quatre ou cinq jours avant la première représentation; nous le connaissons alors par coeur. A ce moment là, le but essentiel du processus de travail consiste à travailler juste ce qu’il faut pour que cette fraîcheur ne se perde pas.” Qui travaille un texte de la sorte connaît bien sûr la pièce entière comme sa poche, et donc pas seulement son propre rôle (la distribution des rôles n’a d’ailleurs souvent lieu que durant la dernière phase). Une fois sur scène, il ne s’agit donc pas d’”anticiper”, mais de s’écouter mutuellement avec autant de rigueur que possible, de lire “l’autre” comme il est, parle, agit à ce moment là et de faire partager au public cet instant présent.

  

Force subversive

“La conséquence de la création, c’est finalement que les choses ne sont jamais comme on les avait imaginées. C’est horrible lorsque quelque chose ressemble trop à ce que l’on avait pensé. Cette chose est alors superflue.”

(Jan Joris Lamers)

 

Dans la méthode de travail de Stan réside une grande conscience de l’histoire du théâtre, tant dans son écriture que dans les qualités de son jeu : ne serait-ce que le fait qu’il y a environ cinquante ans, les acteurs de nos théâtres étudiaient une nouvelle pièce par semaine et se retrouvaient donc forcément sur scène dans une situation non fixée d’avance et improvisée; ils n’avaient tout simplement pas le temps de se préparer davantage. Dans leur travail autour de la table, tous les collaborateurs de Stan sont dramaturges; sur scène, ils sont tous metteurs en scène, acteurs et porte-parole de l’auteur.
Dans cette notion historique du théâtre figure aussi une grande conscience de la force subversive potentielle du comédien; étant donné que le théâtre est l’art de l’immédiat par excellence, les déclarations soudaines et imprévues sur scène et dans la salle font partie du possible. Ce côté direct n’est pas évité par Stan, bien au contraire; ils le recherchent même dans le choix de leurs textes. Ce n’est pas par hasard qu’en 1993, lorsque Anvers était Capitale Culturelle, ils ont joué, dans le bastion du bourgmestre Bob Cools, JDX- A Public Enemy, basé sur Un ennemi du peuple de Henrik Ibsen, et que toute la salle ait, comme un seul homme, interprété les personnages montrés sur scène en fonction de leur propre réalité politique.
Outre Gerardjan Rijnders, Oscar van Woensel, Finn Iunker ou Wanda Reisel, dont les textes écrits “aujourd’hui” portent de manière évidente l’”actualité” en eux, la préférence de la troupe va clairement à des auteurs comme Thomas Bernhard, Anton Tchekov, Oscar Wilde, Georg Büchner… dont l’oeuvre permet de dire beaucoup sur la société contemporaine. La question de savoir “pourquoi jouer ce texte maintenant?” est toujours posée chez Stan, même si les raisons ne se révèlent parfois qu’ultérieurement. Ainsi, Le Misanthrope, joué en 1998, n’acquiert sans doute toute sa valeur qu’en tant qu’”étude préparatoire” à la lumière du grand projet actuel sur Molière, Poquelin.

 

Sans frontières

“Une fois occupé à jouer, le comédien ne peut arrêter une seconde “de créer””.

(Herman Teirlinck)

“La tradition du comédien” veut qu’il soit aussi un voyageur. Ainsi, la rencontre de Molière avec les acteurs italiens ambulants, qui lui ont notamment fait connaître la commedia dell’arte, fut essentielle pour l’évolution de son œuvre, alors qu’il parcourait lui-même la France avec son “Illustre Théâtre” avant de s’établir à Paris et de se lier avec la cour.
Ces dernières années, Stan est devenu de plus en plus une compagnie au champ d’action international qui joue dans plusieurs langues. Ainsi, en Angleterre, ils ont interprété Oscar Wilde en anglais en tant que compagnie d’”avant-garde”. A Toulouse, ils se sont attaqués au répertoire français: dans Les Antigones, ils ont adapté et interprété en français la matière de Jean Anouilh et de Jean Cocteau. Un atelier à Lisbonne a résulté en une collaboration avec des acteurs portugais: avec eux, ils ont joué en anglais Point Blank, une adaptation de Platonov d’Anton Tchekov. A Oakland (Californie), ils ont créé, en étroite collaboration avec la communauté noire, le spectacle One 2 Life, inspiré des lettres écrites en prison par Black Panther George Jackson. Etc.
Pour Stan, il n’existe aucune frontière, ni entre les pays et leurs langues, ni entre les arts de la scène et les autres disciplines artistiques, ni entre le comédien et le public. L’ouverture et la libre circulation, les discussions sans limites autour de la table, la liberté de décision sur scène: les valeurs que Stan met en usage dans sa pratique artistique sont le miroir de leur conception du monde, dans lequel ils revendiquent l’autonomie pour tous.

“N’oubliez pas que l’acteur est une émanation du public.”

(Herman Teirlinck)

 

 

(traduction Nathalie Smeesters)