Anne Teresa De Keersmaeker (Fr.)

Kritisch Theater Lexicon Dec 1998French

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JUSTIFICATIF

Il n’est jamais particulièrement aisé de tracer les grandes lignes d’une œuvre encore en pleine évolution. Que ce parcours artis­tique affiche à première vue une certaine versatilité et qu’il paraisse marqué par la volonté d’emprunter inlassablement de nouvelles voies et de découvrir de nouveaux horizons, ne simpli­fie pas la chose. C’est pourquoi nous voulons, en guise d’intro­duction, éclaircir les prémisses qui étayent la synthèse ici propo­sée de l’œuvre d’Anne Teresa De Keersmaeker.
Après une courte biographie, nous parcourrons par ordre chro­nologique les différentes productions qu’a réalisées Anne Teresa De Keersmaeker dans la période 1980-1997. Examinant chaque œuvre, nous essaierons d’en dégager les aspects les plus mar­quants; les noms des danseurs cités sont bien entendu toujours ceux qui ont fait partie de la première distribution. Sur ce plan, nos descriptions et caractérisations présentent d’ailleurs quelques problèmes. Elles sous-entendent en effet qu’une production est fin prête à sa première, alors que De Keersmaeker parachève et innove continuellement pendant les tournées ou les reprises. Dans ce sens, la totalité de l’œuvre, mais aussi chaque représen­tation en particulier est un «work-in-progress». Il va de soi qu’il est impossible de cerner cette dynamique hautement personnelle dans le contexte de ce lexique.
Nous nous servons à maintes reprises d’un aspect spécifique d’une certaine production en guise d’étalon d’une approche plus générale de l’œuvre ou de la «graphie» d’Anne Teresa De Keersmaeker, du contexte institutionnel dans lequel l’œuvre a vu le jour, ou de son accueil critique. Nous passons en d’autres termes tour à tour de la caractérisation par production à la carac­térisation globale, de même que de descriptions essentiellement axées sur l’aspect artistique du processus de création à des infor­mations d’ordre plus prosaïque sur le financement et l’organisa­tion. Cette approche dialectique nous paraît plus lisible que de présenter séparément l’œuvre, l’esthétique chorégraphique («aspects formels»), les lignes thématiques ou la teneur, et le contexte institutionnel. Nous avons donc renoncé à rechercher une interprétation universelle, sinon originale, de l’œuvre d’Anne Teresa De Keersmaeker. La différence entre la description et l’ex­plication est évidemment toute relative, mais tout en respectant les conventions usuelles, nous avons opté autant que possible pour une approche descriptive et un langage neutre, qui se borne à la constatation.

 

BIOGRAPHIE

Nous limiterons évidemment la biographie d’Anne Teresa De Keersmaeker (°1960, Malines) aux données pertinentes concer­nant son œuvre. Enfant, De Keersmaeker suit une formation de ballet classique à l’École de la Danse, de la Musique et des Arts du Spectacle Lilian Lambert, à Bruxelles. En 1978, De Keersmaeker entre comme étudiante à Mudra. Ce «Centre de formation et de recherche pour les interprètes du théâtre» est alors dirigé par son fondateur, Maurice Béjart, le chorégraphe français qui a été plus de vingt-cinq ans à la tête du Ballet du XXe siècle, la compagnie en résidence au Théâtre de la Monnaie à Bruxelles.
En octobre 1980, Anne Teresa De Keersmaeker fait ses débuts au Nieuwe Workschop de Bruxelles avec Asch; début 1981, elle quitte Bruxelles pour New York, où elle s’inscrit dans le départe­ment de danse de la Tish School of the Arts, qui dépend de l’uni­versité new-yorkaise. New York est à cette époque la capitale incontestée de la danse, tant moderne que postmoderne. À dater de Asch, la biographie artistique d’Anne Teresa De Keersmaeker ne fait plus qu’une avec l’histoire de ses créations chorégra­phiques successives (voir la liste des œuvres/chorégraphies, p. 45).
Entretemps, De Keersmaeker est devenue une chorégraphe internationale renommée. Le respect mondial dont son œuvre fait l’objet ressort entre autres des prix dont elle est comblée. Ainsi, en 1989 pour la représentation Rosas danst Rosas, elle reçoit le Bessie Award, la plus grande distinction des États-Unis. La même année, elle reçoit pour Mikrokosmos le Japan Dance Award pour la meilleure production de danse étrangère. En 1991 Stella reçoit le London Dance and Performance Award. Deux ans plus tard, en 1993, Anne Teresa De Keersmaeker est l’invitée d’honneur du prestigieux Holland Festival. En son propre pays, la Vrije Universiteit Brussel lui décerne le titre de docteur hono­ris causa en 1994, et en 1996, ses services artistiques lui valent le titre de baronne.

 

RÉTROSPECTIVE DE L’ŒUVRE

 

Asch
Asch est la première production de Anne Teresa De Keersmaeker. Cette représentation n’a été montrée, en 1980, que dans la Zuilenzaal (Salle des colonnes) de l’espace De Markten à Bruxelles. Le titre en toutes lettres est «Asch, l’ébahissement de d’une petite fille entêtée et d’un grand pilote blessé, un projet théâtral dans lequel le jeu d’un danseur et celui d’un acteur se rencontrent». Le rôle de la petite fille était interprété par Anne Teresa De Keersmaeker, Jean-Luc Breuer jouait celui du pilote. Il y a donc déjà, dans Asch, une sorte de «notification» de person­nages, de «pressentiment» d’une histoire qui n’est jamais explici­tée. Toute forme de narration disparaît des productions qui suc­cèdent directement à Asch: il faut attendre Elena’s aria, pour que récit, personnage et développement refassent surface. Il s’agit alors toujours d’une théâtralité à la fois pudique et réflexive, apparentée à la tradition de la «Ausdruckstanz» allemande (M. Wigman, K. Jooss, P. Bausch).
La musique de Asch a été spécialement composée pour ce pro-jet par Christian Copin et Serge Biran. La représentation se com­pose de quatre parties, qui se répondent de façon mûrement réflé­chie. Vu rétrospectivement, plus d’un aspect fait pressentir le tra­vail ultérieur, mieux connu, d’Anne Teresa De Keersmaeker: l’im­portance donnée à l’ordonnance de l’espace scénique et de la scé­nographie, et l’accent porté sur la composition et sur une articu­lation dramaturgique des structures. Le langage dansé assimile en partie l’idiome du ballet classique, mais déjà se forge un vocabu­laire propre, très personnel. Dans la troisième partie de Asch, un solo de De Keersmaeker – et en un certain sens, une préfiguration du solo Violin Phase de Fase –, on découvre déjà ces mouvements vifs et électriques, si caractéristiques du dansant de toute la pre­mière période de son œuvre: les poings battants, les pieds trépi­gnants, la tête jetée dans le cou...

 

Fase
Four movements to the music of Steve Reich

À son retour de New York, Anne Teresa De Keersmaeker crée Fase, four movements to the music of Steve Reich, qui va en pre­mière en 1982 au Beursschouwburg de Bruxelles. Cette produc­tion fait l’effet d’une bombe: elle marque incontestablement le début du courant de danse contemporaine qui s’est développé en Flandre au cours des années quatre-vingt. Fase est dansée par Anne Teresa De Keersmaeker elle-même et Michèle Anne De Mey, elle aussi une ancienne élève de Mudra. Cette représenta­tion est reprise en 1992, en distribution originale au Théâtre Varia de Bruxelles. La base musicale de la chorégraphie est constituée par quatre morceaux minimalistes du compositeur américain Steve Reich, écrites entre 1966 et 1972: Piano Phase, Come Out, Violin Phase, et Clapping Music. Le solo de danse sur Violin Phase a vu le jour à New York, où De Keersmaeker l’a chorégraphié en collaboration avec les membres de l’ensemble Steve Reich and Musicians. Il a été présenté pour la première fois en 1981 à Purchase, dans le cadre du Festival of the Early Years.
Fase est un tout chorégraphique, et en tant que tel, bien plus qu’une simple addition des quatre parties. Le choix du matériel gestuel, la structure de l’espace, la lumière, etc. ont été sciemment soumis à une «dramaturgie» totale, qui recouvre les quatre par­ties. Cette recherche d’une unité chorégraphique apparaît aussi dans le jeu délibéré avec quelques motifs de base: dans Piano Phase, la ligne droite alterne dans la danse avec le cercle (les dan­seuses tournent sur leur propre axe); dans Come Out, les dan­seuses décrivent également des cercles, mais collées à des chaises; dans le solo Violin Phase, toute la scène est employée et traver­sée de cercles et de diagonales. Dans Clapping Music, c’est de nouveau la ligne droite qui domine. La caractéristique commune des quatre mouvements est la division en de courtes séquences constamment répétées qui se modifient peu à peu. On pourrait dire qu’Anne Teresa De Keersmaeker, dans l’élaboration de son vocabulaire de danse, s’exprime pour la première fois en «litotes». Des phrases simples varient en se répétant, se combi­nant et se recombinant pour former des unités plus longues. Le langage de Fase, une œuvre souvent qualifiée de minimaliste, est essentiellement abstrait: il n’y a pas de récit, les interprètes ne font pressentir aucun personnage.
Avec Fase, Anne Teresa De Keersmaeker trace une ligne d’une importance cruciale pour ses œuvres ultérieures: celle de la rela­tion spécifique entre la musique et la danse. Son langage gestuel aura beau évoluer du tout au tout au fil du temps, De Keersmaeker partira toujours dans sa chorégraphie d’une analy­se en profondeur de la partition musicale employée. L’idée maî­tresse en la matière, est que la danse ne saurait en aucun cas se contenter d’être une illustration de la musique. La chorégraphie doit au contraire articuler de façon hautement personnelle et autonome certains fondements de la composition choisie. De Keersmaeker s’efforce toujours d’atteindre une relation d’analo­gie entre la danse et la musique. Elle en trouve le fondement dans la règle de la structure musicale, qui est alors reprise dans la cho­régraphie. Cette transposition peut porter sur la structure de l’es­pace, la succession temporelle des mouvements, ou le matériel gestuel lui-même. Ainsi, la structure circulaire de Violin Phase est étroitement liée au fait que cette composition musicale repose sur le rondo (structure de l’espace). L’usage du piano en tant qu’ins­trument à percussion dans Piano Phase se reflète dans la choré­graphie par des gestes brefs et anguleux (matériel gestuel). Et en règle plus générale, chacune des quatre parties de Fase répond au principe du phrasé progressif qui caractérise la musique de Steve Reich: des mouvements parfaitement synchrones à l’origine vont, quoique qu’apparemment identiquement répétés, lentement se transformer et se différencier par d’infimes variations (construc­tion temporelle).
Cette mise en lumière des analogies structurelles entre la danse et la musique est l’attribut de l’œuvre chorégraphique d’Anne Teresa De Keersmaeker. Les productions dont le titre réfère au morceau musical choisi, en particulier, font dialoguer la «gra­phie» chorégraphique avec la partition musicale de façon littéra­lement structurelle.

 

Rosas danst Rosas
C’est en 1983 qu’Anne Teresa De Keersmaeker atteint le succès international avec la représentation Rosas danst Rosas. La pro­duction va en première pour le festival du Kaaitheater à Bruxelles, et signifie d’emblée l’avènement de la compagnie Rosas. Les quatre danseuses qui font initialement partie de Rosas, sont
toutes d’anciennes élèves de Mudra: Anne Teresa De Keersmaeker et Michèle Anne De Mey, auxquelles viennent s’ajouter Fumiyo Ikeda et Adriana Borriello. La musique de Rosas danst Rosas, composée par Thierry De Mey et Peter Vermeersch, voit le jour en parallèle à la chorégraphie. La repré­sentation est structurée en cinq parties, la danse comme la musique s’appuient sur des principes répétitifs et minimalistes.
Dans Rosas danst Rosas, dont Thierry De Mey a entretemps réalisé un film du même titre, deux sortes de mouvements s’en­trelacent. D’une part des mouvements abstraits, difficiles à qua­lifier, de l’autre, des mouvements plus concrets, reconnaissables: la main qui lisse les cheveux, qui rectifie la tenue d’une blouse, la tête qui tourne brusquement... Ces gestes qui réfèrent à des gestes du quotidien, possèdent une signification directe. À croire que les incidents du processus de l’œuvre émaillent la représentation comme autant de citations littérales. Mais le matériel gestuel n’est pas le seul à continuellement ébrécher l’hermétisme illusoi­re de la représentation («de la danse et rien de plus») et à le pous­ser dans le sens d’une réalité plus factuelle. Ainsi, pendant l’in­termède entre la première et la seconde partie, les danseuses pré­parent leurs chaises et leurs chaussures, lissent leurs vêtements et reprennent manifestement haleine. À la fin de la quatrième par-tie, les danseuses affichent sans honte leur fatigue: elles se tien­nent sur la scène, visiblement haletantes et trempées de sueur.
Dans ces courts instants, «l’envers» physique de la danse est montré comme un art corporel. Il serait impensable de le voir dans une représentation de ballet classique; mais les exécutions de danse moderne sont, elles aussi, placées sous le signe de l’oc­cultation de la fatigue et de l’effort. Au contraire, l’œuvre d’Anne Teresa De Keersmaeker s’applique, aussi après Rosas danst Rosas, à briser l’illusion qu’une représentation de danse mette en scène une réalité tout autre que la réalité (physique) quotidienne. Ainsi peut-on remarquer que De Keersmaeker n’essaie jamais d’atteindre la perfection absolue dans ses chorégraphies: elle n’impose pas à ses danseurs d’exécuter sans aucune erreur les mouvements en simultané. C’est pourquoi les représentations de Rosas témoignent toujours cette expressivité et cette «humanité» si spécifiques.
La première partie de Rosas danst Rosas se joue au sol et en silence. Formant une grande diagonale de l’arrière droite au devant gauche, les quatre corps allongés sur la scène roulent sur le sol avec des pauses et des intervalles, accompagnés d’une pure «musique» de halètements syncopés, du frappement des bras sur le plancher, du roulement des corps... Le deuxième mouvement se joue sur des petites rangées de chaises alignées en biais (voir Come Out dans Fase). Le matériel gestuel se compose de gestes rapides, durs et énergiques qui répondent aux percussions métal­liques. La troisième partie est tout comme la première un jeu entre les lignes droites et les diagonales que l’éclairage accentue par des couloirs de lumière. La mise à nu incidente ou voulue d’une épaule – rite de séduction? – est l’un des gestes concrets les plus marquants de ce mouvement. Le quatrième mouvement est une danse en groupe et monte en crescendo, jusqu’à la limite de l’épuisement physique; des diagonales, des lignes droites et des cercles se succèdent et s’alternent dans cette partie. L’épilogue est une coda très courte qui n’est constituée que par des gestes concrets liés à la fatigue réelle des danseuses. Dans toute la pièce on voit encore beaucoup de mouvements à l’unisson entre les quatre femmes: ce qui n’empêche que toutes les variations pos­sibles du nombre quatre soient essayées. Trois danseuses font par exemple le même mouvement, la quatrième son contraire; ou encore, elles suivent un parcours deux par deux, ou une plus une plus deux, une ou plus deux plus une, etc.
C’est dans Rosas danst Rosas qu’apparaissent pour la premiè­re fois les champs de tension qui marqueront la totalité des œuvres ultérieures d’Anne Teresa De Keersmaeker: notamment l’opposition entre les structurelles rationnelles («pensées») et les émotions signifiantes, la dialectique entre l’agressivité et la ten­dresse, ou l’interaction entre l’uniformité (de costumes ou de mouvements) et l’individualité (l’accentuation des différences de constitution entre les danseuses par le port de vêtements iden­tiques, ou les accents singuliers dans l’exécution des mouvements à l’unisson).

 

Elena’s aria
Avec Elena’s aria, créée en 1984, Anne Teresa De Keersmaeker étonne à plus d’un égard les critiques et le public. Le succès qu’a remporté Rosas danst Rosas, implique un double défi à relever aux autres productions. Il ne suffit maintenant pas de tenir compte des questions spécifiques que pose chaque nouveau projet, un autre choix s’impose: celui de continuer dans la manière qui a prouvé son succès ou de s’en détourner pour aller à la recherche de nouvelles possibilités artistiques. Susan Sontag a un jour écrit que tout artiste intègre est tôt ou tard confronté à l’en­vie de briser le contact avec son public. Car qui veut développer ses potentialités au-delà des limites du connu, n’opte (plus) pour la répétition du succès déjà acquis. Elena’s aria est à cet égard une représentation cruciale dans la carrière chorégraphique d’Anne Teresa De Keersmaeker. Car elle rompt résolument avec la force esthétique des éléments testés. Ainsi, le matériel musical de cette production ne contient ni «beat», ni «drive»; l’intensité du jeu d’ensemble et de l’unisson entre les danseurs est fortement relativisée. Dans le même temps, on introduit des textes (Léon Tolstoï, Botho Strauss, Bertolt Brecht) et des images filmées (des immeubles qu’on dynamite). À Anne Teresa De Keersmaeker, Michèle Anne De Mey et Fumiyo Ikeda, trois des protagonistes de Rosas danst Rosas, sont venues s’ajouter Nadine Ganase et Roxane Huilmand.
Elena’s aria réfère à la composition du même titre de Giuseppe Verdi; dans la représentation est insérée un enregistrement de Montserrat Caballo. Le matériel auditif n’est présent qu’en sour-dine, et comprend outre quelques arias de Caruso, une harangue de Fidel Castro. Dans sa totalité, la représentation a une structu­re quasi symphonique. En outre, Elena’s aria est caractérisée par de nombreuses plages de calme et de silence, qui soulignent la durée de la représentation et le passage du temps. Le matériel gestuel conjugue deux leitmotivs. D’une part la poursuite, alter-née avec la fuite, des cinq danseuses sur une rangée de chaises à l’arrière de la scène. D’autre part la tentative de marcher, courte jupe relevée, sur un cercle tracé à la craie au milieu de la scène. Ces deux motifs sont répétés avec de légères variations. Toutes deux réfèrent à des jeux d’enfant. La longue et pudique repré­sentation Elena’s aria se termine elle aussi par une coda, sur un insert de musique de Mozart: les cinq danseuses-interprètes, assises sur une rangée de chaises devant le rideau baissé, exécu­tent à l’unisson une série de mouvements concrets. Cet épilogue réfère clairement aux acquis de Rosas danst Rosas.
Elena’s aria est tout entière pétrie de mélancolie. Les sentiments qu’exprime cette représentation se situent dans la sphère du tour­ment et de la solitude, la douleur de l’absence, l’aspiration à un amour inaccessible. Cette charge émotionnelle est encore renfor­cée par la «théâtralité» avec laquelle certains mouvements sont exécutés, comme le parcours du cercle de craie avec la jupe rele­vée. À aucun moment, pourtant, la représentation ne bascule dans l’expressivité directe. Les émotions nommées sous-tendent toute la pièce, mais ne sont jamais exprimées ou présentées expli­citement. Cette réserve vis-à-vis de toute forme d’immédiateté, particulièrement sur le plan émotionnel, est si caractéristique des productions ultérieures d’Anne Teresa De Keersmaeker, qu’on ne craint pas de parler d’un trait dominant de son œuvre. Elle-même en parle dans ses termes: «Pina Bausch dit les choses de façon à la fois très simple et très complexe, mais moi, une certaine pudeur m’empêche de les dire.»

 

L’accueil de la presse

Les articles dans les journaux et magazines de l’époque réfèrent pourtant à propos d’Elena’s aria plus d’une fois à l’œuvre de Bausch. La critique est par ailleurs déroutée par la rupture sou­daine avec le minimalisme de Fase et de Rosas danst Rosas. Alors que l’œuvre d’Anne Teresa De Keersmaeker pouvait auparavant être décrite en termes de «répétitivité» et de «structure», force est maintenant de trouver d’autres expressions. Un problème d’ordre plus général se présente encore. Car aussi dans les pro­ductions qui font suite d’Elena’s aria, les critiques voient De Keersmaeker balancer entre la raison et l’émotion, le formalisme et l’expressivité, en insistant sur la structure et la géométrie d’une part et sur le signifiant et le prégnant de l’autre. Comme le dit un commentaire très illustratif en la circonstance (Knack, 28 mars 1990): «Au cours des dix années pendant lesquelles A.T. De Keersmaeker s’est investie en qualité de chorégraphe, son œuvre a oscillé continuellement entre les pôles de l’abstraction pure, de l’esthétique géométrique et de la danse-théâtre expressive et elle a conclu toutes les alliances imaginables entre ces formes d’art d’une extrême divergence – du moins en apparence.»
Une autre forme de catégorisation, qui s’est propagée au cours des années quatre-vingt dans la critique de langue néerlandaise, est l’opposition «dansant versus théâtral». Dans cette optique aussi, l’œuvre de De Keersmaeker accuserait un mouvement de balancier. Certaines représentations seraient taxées de plutôt «dansantes» (ou «formalistes», ou «fortement structurées»...), d’autres au contraire seraient essentiellement théâtrales (ou «émotivement chargées», «expressives»...). Bref, la critique se plaît à manier des dichotomies qui ne pourront jamais cerner de façon univoque l’œuvre de l’artiste du spectacle vivant qu’est Anne Teresa De Keersmaeker. Cette apparente hybridité s’aggra­ve évidemment lorsqu’elle va se mettre à explorer d’autres disci­plines des arts de la scène, comme le théâtre ou l’opéra. Voulant rendre hommage à la particularité de l’œuvre d’Anne Teresa De Keersmaeker, certains critiques insistent sur la nécessité d’une approche moins dualiste. Hildegard De Vuyst, à propos de Ottone Ottone, remarque que cette représentation exige «un nouveau discours. On peut parler ici d’un nouveau genre, la danse-opéra (...) De Keersmaeker met à mal les cloisons consa­crées entre les genres (dans ce cas: ce qui différencie le théâtre de l’opéra et de la danse) et les présomptions qui y sont liées. Le choc qu’elle provoque, sans doute sans le vouloir, se lit dans la phrase: ‹Non, Ottone Ottone n’est pas une chorégraphie. C’est du théâtre absurde›», sur laquelle débute une critique de presse. (dans: Etcetera 24, 1988). Le problème impérieux sous cet angle, est celui de la spécialisation de la critique. Le séparatisme de la presse critique en branches définies – danse, théâtre, musique et opéra – rend difficile la réception nuancée d’une œuvre qui se meut sur plusieurs terrains à la fois, et cela en une seule et même représentation.
L’accueil de l’œuvre d’Anne Teresa De Keersmaeker dans la presse de langue néerlandaise s’est distingué les dernières années par une différence d’appréciation croissante entre la Flandre et les Pays-Bas. Les critiques des quotidiens et revues de la presse flamande, tendent en général à inscrire les productions récentes dans la lignée de l’œuvre. D’où l’insistance sur les lignes évolu­tives, et en parallèle, sur les différences d’avec les productions précédentes. Ces différences sont d’habitude estimées positives, en termes de renouvellement d’une part, et de recherche explora­toire d’un lien personnel avec le langage dansé classique de l’autre. Qui plus est, on remarque que les critiques flamands considèrent les œuvres de De Keersmaeker décisives, et même normatives. Ils y réfèrent abondamment dans leurs commentaires de représentations d’autres chorégraphes et dans l’interprétation de productions de nouveaux venus. On peut donc dire qu’en Flandre, l’œuvre chorégraphique d’Anne Teresa De Keersmaeker est entretemps canonisée et fait office d’étalon de la danse contemporaine. Les critiques hollandais, par contre, ont tendan­ce à juger chaque nouvelle représentation de De Keersmaeker comme une création distincte, libre de toute inhérence dans une œuvre individuelle et dans une évolution chorégraphique impé­rativement particulière. Cette attitude se traduit plus d’une fois par des critiques de ton négatif, entre autres dans le cas des pro­ductions Amor constante más allá de la muerte et Woud. On notera dans ce contexte le fait incontestable que des protago­nistes comme Hans van Manen et des institutions comme le Nederlands Danstheater ont fait connaître depuis belle lurette aux Pays-Bas des formes de danse jusque peu inconnues en Flandre. La tradition classique, notamment, y est continuée de façon créative, une donnée que les critiques de danse flamands n’ont précisément apprise à apprécier qu’à travers l’œuvre d’Anne Teresa De Keersmaeker.

 

Bartók/Aantekeningen

En 1986, Anne Teresa De Keersmaeker présente Bartók/Aan­tekeningen. C’est sa première représentation basée sur la parti­tion d’un grand maître de la musique classique moderne. Le Quatrième quatuor à cordes de Belá Bartók constitue le fonde­ment structurel et émotionnel de toute la production. Cette com­position se compose de cinq parties et suit une ordonnance que l’on pourrait décrire par A B C B’ A’, comme si un grand cercle (A A’) et un petit cercle (B B’) entouraient le point central C. La représentation reprend cette structure, mais en plus des danses chorégraphiées sur la musique de Bartók, il y a aussi les «anno­tations» d’Anne Teresa De Keersmaeker. Elles comprennent un matériel gestuel exécuté en silence, des ajouts sous forme de texte (Marat/Sade de Peter Weiss et Lenz de Georg Büchner), des images filmées d’enfants qui jouent et d’accidents de la route, et du matériel auditif divers (chants folkloriques bulgares, harangues de Lénine, chants révolutionnaires russes). Ces élé­ments hétérogènes sont reliés par une structure ingénieuse, de sorte que la représentation n’a en rien l’air d’une collection de fragments disparates.
Les quatre danseuses paraissent sous les traits de quatre petites filles indisciplinées; mais elles s’accordent les unes aux autres comme si elles étaient les quatre musiciens d’un quatuor à cordes.
Les morceaux sont dansés par Fumiyo Ikeda, Nadine Ganase, Roxane Huilmand et – en alternance – par Johanne Saunier et Anne Teresa De Keersmaeker. C’est avec Bartók/Aantekeningen que la chorégraphe prend pour la première fois distance de la totalité de son œuvre, comme pour l’observer tout à son aise. Les émotions qui guident la représentation fluctuent entre la disso­nance (un trait dominant de la musique de Bartók) et l’agression d’une part, la mélancolie et la pureté de l’autre. L’atmosphère est pourtant nettement moins pesante que dans Elena’s aria, surtout parce que l’humour espiègle et la sensualité colorient chaude­ment le tout.

 

Verkommenes Ufer/Medeamaterial/ Landschaft mit Argonauten
Anne Teresa De Keersmaeker a évolué, chemin faisant, d’une chorégraphe au sens strict du mot à une artiste universelle du spectacle vivant, quoique chorégraphier demeure l’essence pro­verbiale de son œuvre. Son intérêt pour le théâtre et l’opéra témoigne de sa recherche sur les genres «non-dansants». En 1987, De Keersmaeker signe sa première – et pour le moment unique – mise en scène de texte, Verkommenes Ufer/Medeamate­rial/Landschaft mit Argonauten. Ce n’est sans doute pas le hasard qui la pousse à choisir ce texte en trois volets de l’auteur allemand Heiner Müller. Les textes de Müller, écrits dans un langage de chair et de sang, ont une qualité hautement tangible. De plus, le thème de Médée, qui traite de la trahison entre homme et femme
– et que ce texte situe dans un contexte politique de colonisation et d’oppression – correspond au monde que veut évoquer Anne Teresa De Keersmaeker dans la première période de son œuvre.
Le texte de Müller faisait déjà partie du matériel de documen­tation pendant la création de Bartók/Aantekeningen. Il est joué dans sa version originale, en allemand, afin de conserver sa plei­ne force à la matérialité de la langue de Müller. Le rendu du texte porte l’accent sur la musicalité. La représentation ne cherche pas à illustrer ou à interpréter les mots; la dramaturgie tente plutôt de placer, en face du texte, une autre réalité – dansée ou jouée. Dans l’optique de ce choix, on s’efforce d’arriver à une sorte de degré zéro de la présence scénique des acteurs. La scénographie de Herman Sorgeloos a également son importance. L’espace de jeu est constitué par une bande étroite et très longue: Jason et Médée sont souvent assis loin l’un de l’autre, la nourrice formant une sorte de no man’s land entre eux. Tout comme Elena’s aria, cette production fait appel à d’autres disciplines: le matériel tex­tuel s’accompagne de séquences gestuelles et de toutes sortes d’éléments auditifs. La distribution est confiée à trois acteurs­interprètes. La danseuse américaine Kitty Kortes Lynch joue le rôle de Médée, Johan Leysen et André Verbist jouent respective­ment Jason et la nourrice.

 

Mikrokosmos…
(Mikrokosmos – Monument/ Selbstporträt mit Reich und Riley (und Chopin ist auch dabei)/ Im zart fliessender Bewegung – Quatuor nr. 4)
Pour l’ouverture de la saison du Kaaitheater en 1987, Anne Teresa de Keersmaeker monte une production de circonstance:
Mikrokosmos – Monument/ Selbstporträt mit Reich und Riley (und Chopin ist auch dabei)/ Im zart fliessender Bewegung – Quatuor nr. 4. Cette œuvre tripartite, dont le long titre se résu­me souvent à Mikrokosmos, est la première production dans laquelle trois morceaux, conçus séparément, sont réunis en une seule représentation pleine soirée (une méthode à laquelle De Keersmaeker aura encore recours pour Kinok et Woud). Quelques interventions formelles permettent aux trois volets de s’inscrire dans le cadre d’une dramaturgie homogène, donnant ainsi une nouvelle interprétation au concept «soirée de danse». C’est dans Mikrokosmos que l’on peut voir pour la première fois des musiciens sur la scène dans l’œuvre d’Anne Teresa De Keersmaeker. Le deuxième volet, composé du duo de piano en trois parties de György Ligeti et exécuté en direct par Walter Hus et Stefan Poelmans, n’est pas dansé: on pourrait donc qualifier Mikrokosmos de concert dansé.
Dans la première partie du premier Mikrokosmos, Johanne Saunier et Jean-Luc Ducourt (le premier danseur masculin dans l’œuvre de De Keersmaeker) dansent sept petits morceaux pour piano de... Bartók, encore. Comme une miniature. Dans ce pas de deux, l’agression et la tendresse, l’attirance et le rejet, se suc­cèdent à un rythme rapide. Ensuite, sur un podium surélevé, les deux pianistes jouent leur triptyque de Ligeti, après quoi le Mondriaan Kwartet des Pays-Bas assure l’accompagnement des parties dansées de Bartok/Aantekeningen sur le Quatrième qua­tuor pour cordes de Bartók. Ce «Bartók sans annotations» est interprété par Nadine Ganase, Fumiyo Ikeda, Roxane Huilmand et Johanne Saunier. En 1989, Wolfgang Kolb met sur pellicule les deux morceaux dansés de Mikrokosmos sous le titre Hoppla!. Cette version cinématographique a pour décor la salle de lecture de la bibliothèque conçue par Henry Van de Velde à Gand.
Que Mikrokosmos donne une telle impression d’unité est dû en grande partie à ce qui est peut-être bien le véritable «sujet» de cette représentation: la complicité – mise en évidence par les nombreux regards furtifs, les petits rires... – entre danseurs et musiciens ainsi qu’entre les deux groupes d’interprètes. Cet arc sous-tend toute la représentation dans laquelle s’infiltrent encore quelques éléments «narratifs»: les quasi-personnages des «filles» du Quatuor de Bartók se fondent en une femme dans la confron­tation en pas de deux avec l’homme dans Mikrokosmos. Dans le premier volet, on voit en effet se cristalliser quelque chose comme une histoire, celle de la relation d’un couple adulte. Comme nous le verrons bientôt, la dualité fille/femme réapparaîtra souvent dans les représentations ultérieures d’Anne Teresa De Keersmaeker (cf. la recension de Stella). La scénographie joue dans Mikrokosmos un rôle tout aussi crucial dans la création d’un cadre théâtral homogénéisant. Pour cette représentation, Herman Sorgeloos, entretemps le scénographe et photographe attitré de Rosas, crée un espace enclos de sansevières. On peut le voir comme une sorte de salle des fêtes où les musiciens – duo de pianos et quatuor à cordes – ont marqué leur terrain sur le podium alors que la piste demeure libre pour les danseurs.

 

Ottone, Ottone
Après le théâtre (cf. la production de Médée) Anne Teresa De Keersmaeker affronte le genre de l’opéra. Ottone Ottone connaît sa première en 1988 et est l’un des premiers «grands» projets de De Keersmaeker: 16 interprètes donnent corps à cette représen­tation, basée sur l’opéra L’Incoronazione di Poppea de Claudio Monteverdi dans une exécution de Nikolaus Harnoncourt. La transformation du texte original et de la partition en une sorte d’opéra-ballet contemporain, ou si l’on veut, postmoderne, passe par une adaptation particulièrement radicale. Ainsi, le récit de base est chaviré par le doublement et même le triplement des per­sonnages, et par l’adjonction de nouveaux caractères. Les textes des interprètes s’ajoutent à la représentation et quelques inter­prètes – qui ne dansent pas – prennent place aux côtés des dan­seurs. L’amorce en avait été donnée dans Asch: dans Ottone Ottone, le choix de l’opéra de Monteverdi fait renouer l’œuvre d’Anne Teresa De Keersmaeker avec la narration. Les person­nages engagent diverses relations, entre autres psychologiques. La représentation évoque le microcosme de la vie à la cour de l’empereur romain Néron avec une brutalité extraordinaire, qui s’accentue encore dans l’adaptation pour la seconde tournée du printemps de 1989. La sincérité des émotions est, dans cette microsociété, constamment corrompue par le calcul et l’abus de pouvoir. Comme dans le texte de Heiner Müller qu’Anne Teresa De Keersmaeker avait déjà mis en scène, Ottone Ottone traite du thème de la trahison entre homme et femme dans un contexte sous-tendu d’intérêts politiques.
Ottone Ottone est – littéralement – un spectacle richement bigarré, mais empreint d’une profonde amertume. Le vidéaste Walter Verdin a fait de cette production une adaptation filmée en deux volets hautement intrigante (1991), qui peut être lue comme un commentaire très personnel de la mise en scène d’Anne Teresa De Keersmaeker. Le premier volet du film est mar­qué par un découpage extrême: la représentation de danse est hachée en une multitude de fragments avec de nombreux chan­gements de personnages, ce qui complique la lecture du «récit». Dans le second volet, on passe au traitement cohérent et narratif des grandes lignes, rendues en scènes plus longues. Du point de vue chorégraphique, Ottone Ottone contient beaucoup de nou­veau matériel, en partie dû aux méthodes employées pendant le processus de travail. En raison de l’envergure du groupe, Anne Teresa De Keersmaeker délègue aux danseurs nombre de mis­sions chorégraphiques. Elle les charge d’inventer des variations (inversions, combinaisons,...) sur le matériel déjà trouvé ou de créer de nouveaux phrasés gestuels tandis qu’elle observe avec d’autres danseurs le matériel fraîchement éclos. Elle ajoute alors à son tour quelques séquences personnelles à cet apport autono­me des danseurs et assume évidemment la responsabilité de la composition finale, l’articulation et l’insertion des pièces du puzzle en un grand tout.

 

Stella
Dans sa forme finale, Stella (1990) paraît être un retour à l’œuvre qui se construit à partir de Bartók/Aantekeningen: une pièce pour cinq femmes dont la personnalité définit en grande partie la teneur et l’intensité de la représentation. Pour la musique, Anne Teresa De Keersmaeker retourne au compositeur contemporain hongrois György Ligeti, éminemment présent dans Mikrokos­mos. Ses Études pour piano mais aussi l’ironique Poème sym­phonique pour cent métronomes, dont l’humour rappelle celui de Marcel Duchamp, sont intégrés dans la représentation. Diverses sources littéraires enrichissent également la production. Le titre de la représentation réfère d’une part à la pièce de théâtre du même nom de Goethe, et de l’autre à l’un des personnages de A Streetcar named desire de Tennessee Williams. Des fragments – agencés en monologue – de ces deux pièces de théâtres ainsi que des «citations» du film Rashomon de Kurosawa forment le maté­riel textuel de Stella. La production prend forme avec la collabo­ration intense des cinq danseuses: Fumiyo Ikeda, Johanne Saunier, Nathalie Million, Carlotta Sagna et Marion Lévy. Jean-Luc Ducourt, qui est quelque temps l’assistant d’Anne Teresa De Keersmaeker après Ottone Ottone, se charge de l’étude des frag­ments de théâtre.

L’interaction «structurelle» déjà mentionnée entre la danse et la musique s’affiche explicitement dans les passages de Stella conçus sur la musique de Ligeti. À la lumière des compositions pour piano du musicien hongrois, Anne Teresa De Keersmaeker développe des formes contrapuntiques d’écriture chorégra­phique: la graphie autrefois à l’unisson se «découple» de plus en plus pour devenir une complexe polyphonie. Les cercles sont encore là – on court encore en rond – ainsi que les lignes droites (voir Fase), mais le parcours des danseuses est dirait-on «acci­denté». Le sol gagne aussi en importance dans la chorégraphie, une évolution qui continuera après Stella. Les danseuses tombent et roulent, ou elles traînent des petits podiums carrés – qui réap­paraîtront dans Achterland – sur lesquels elles exécutent des courtes séquences de danse. Ces intermèdes comprennent sou-vent un matériel gestuel qui se confine à une partie du corps: une danse pour les pieds, une danse des mains,... (que l’on compare au coda d’Elena’s aria). Une série de mouvements n’est exécutée que par les pieds des danseuses (assises), la même gestuelle étant alors reprise par les mains. Carlotta Sagna a même un solo que l’on pourrait qualifier de «chorégraphie du visage».
Dans l’ensemble, ce qui frappe dans Stella – comme dans Ottone Ottone et dans Elena’s aria – c’est la théâtralité poussée, réflexive, même. On y voit des amorces de lignes de narration, des bribes de personnages aussi. Le double sens, l’ambiguïté sont les marques de la pratique théâtrale. D’une part, la personnalité de chacune des cinq danseuses colore la représentation de façon essentielle, d’autre part, elles sont inéluctablement des actrices qui jouent un rôle, mais «chacune à sa façon». Individualité et jeu forment un nœud inextricable, de sorte qu’il n’est bientôt plus possible d’attribuer les actions à la personne ou au personnage. Cette ambivalence est encore renforcée par le caractère «typi­quement féminin» des gestes et des mouvements mis en scène. Stella se lit comme un catalogue des caractérisations courantes du «féminin» dans notre culture: l’hystérique, facilement irri­table et hypersensible, l’irrésolue qu’agitent des émotions contra­dictoires, la romantique incorrigible, la névrosée qui n’ose expri­mer ses désirs...

 

Méthodes de travail

Dans le processus de création de Stella, Anne Teresa De Keersmaeker persévère dans la voie engagée avec Ottone Ottone. Elle conti­nuera si bien cette exploration dans ses productions ultérieures qu’on peut parler d’une méthode «Keersmaekérienne». Ana Torfs et Jürgen Persijn en ont fait une courte mais puissante esquisse dans le documentaire Het maken van Mozart/Concert Aria’s (1992), réalisé pour le programme d’art Ziggurat (BRT2).
La spécificité de la méthode de travail développée par Anne Teresa De Keersmaeker, se résume au pied d’égalité sur lequel elle place ses danseurs et interprètes en cours de création. L’élabora­tion d’une nouvelle production commence d’habitude par l’ac­quisition de toutes sortes d’informations et de documentation sur le fond, et par l’analyse en profondeur de la musique sélection­née. De concert avec les danseurs, Anne Teresa De Keersmaeker étudie la structure de chaque partition: évolution mélodique, harmonie, motifs thématiques, etc. sont abondamment discutés. On se penche aussi sur les données du contexte socioculturel ou politique dans lequel musique et texte ont vu le jour.
Sur le plan chorégraphique, Anne Teresa De Keersmaeker prend ses danseurs au sérieux. Elle leur confie des mouvements de base et des séquences (phrases) en leur demandant d’en faire des variations ou de les transposer. Ensuite, elle incite les partici­pants à la production à la création de matériel gestuel en les confrontant à des «stimulants». Ceux-ci peuvent être constitués de photos et d’autres supports d’images. Ainsi, pendant la genè­se de Stella, Anne Teresa De Keersmaeker arrive avec des repro­ductions de statues. «Elles ont été étalées à terre. Nous avons reçu une demi-heure pour choisir nos dix statues préférées et les incarner ensuite l’une après l’autre» raconte Fumiyo Ikeda dans une interview. Dans la préparation de Verklärte Nacht, c’est à des statues de Rodin que l’on a recours, tandis que pour Woud, le matériel gestuel est généré à partir d’un manuel de gymnastique prénatale. Autre méthode chère à Anne Teresa De Keersmaeker pour stimuler la créativité de ses danseurs: leur donner des exer­cices oraux. Ils sont souvent très simples, du genre «imagine que tu mets quelqu’un à la porte» ou «imagine que tu dois prendre congé de quelqu’un qui t’est cher».. Ces méthodes et d’autres de même teneur ne font pas qu’ouvrir la porte au fortuit et à l’ima­gination. Ce qui intéresse Anne Teresa De Keersmaeker tout autant, c’est la création d’un matériel littéralement personnel, de mouvements qui s’accordent avec le corps spécifique d’un ou d’une danseuse, et l’accentuation de son individualité.
Une fois trouvés, les mouvements sont testés par des exercices appropriés visant à mesurer leur tonalité et leur éloquence. Ainsi, Anne Teresa De Keersmaeker demande à ses danseurs d’inverser une séquence de mouvements (de la fin au début), d’y apporter des variations, de la combiner avec d’autres phrases – le cas échéant sur un morceau de musique défini. Le matériel généré en duos et en trios est également constamment remanié: ce qu’A et B ont apporté, (ensemble ou séparément), ils l’apprennent à C et D; sinon à tout le groupe. Il s’agit pour De Keersmaeker de trou­ver les combinaisons convaincantes («pertinentes») entre un mouvement spécifique et le corps particulier d’un danseur. Dans son travail chorégraphique, Anne Teresa De Keersmaeker essaie sans relâche de découvrir le registre gestuel particulier de chaque danseur, et de l’activer. Son œuvre repose sur la prémisse aussi simple que profonde que chaque individu a une «tonalité» phy­sique spécifique, un schéma corporel inconscient que le choré­graphe doit exploiter et respecter.
Chorégraphier, pour Anne Teresa De Keersmaeker, signifie donner des exercices et des indications scéniques («mettre en scène») et surtout, observer attentivement et patiemment les mouvements, puis les sélectionner et les monter. Pendant le pro­cessus de création, elle passe le plus clair de son temps à regar­der, tant «live» que sur vidéo, le matériel créé par ses danseurs. De nombreux mouvements sont finalement éliminés, d’autres sont affinés, parachevés ou plus strictement articulés en fonction de ses remarques. Les semaines avant la première sont placées sous le signe de la sélection et du montage. D’après la durée de la représentation, on fait des choix mûrement réfléchis et (quasi-) définitifs. Les séquences et les «paragraphes» de mouvements retenus n’ont plus qu’à être coulés dans une ordonnance généra­le, une structure temporelle en termes de «d’abord» et «d’après» («ceci vient après cela»). Ici encore, tout est affaire d’observa­tion: les yeux d’Anne Teresa De Keersmaeker sont l’arme secrète qui rend sa chorégraphie si puissante.

 

Achterland
L’année 1990 est fructueuse: outre Stella, Achterland connaît éga­lement sa première. À dater de cette production, presque chaque nouvelle représentation de Anne Teresa De Keersmaeker sera exécutée avec des musiciens sur scène. Elle réalise ainsi le rêve qu’elle caresse depuis toujours: l’intégration réelle des danseurs et des musiciens, de la danse et de la musique, l’union de ces deux arts dans leur création même.
Achterland est lié à la production précédente, Stella, à plus d’un égard: le matériel de danse, par exemple, ou le contingente­ment de la scène en petites plates-formes (effet que renforce enco­re la lumière, qui braque en carré les petits podiums sur la gran­de scène). Mais le lien le plus étroit est constitué par la reprise des études pour piano de Ligeti, exécutées en direct par Rolf Hind. Leur font suite quelques sonates pour violon du compositeur et violoniste belge Eugène Ysaye. Les morceaux de Ligeti et d’Ysaye ont ceci de commun qu’ils exigent une virtuosité exceptionnelle: seuls quelques rares musiciens parmi les plus talentueux sont capables de les exécuter.
Pour la première fois dans son œuvre, Anne Teresa De Keersmaeker met littéralement deux musiciens et solistes sur la scène; ils ne sont plus que des producteurs de son, ils sont inté­grés dans le jeu dansant et théâtral, une ligne que continueront les productions ultérieures. La chorégraphie de Achterland cherche à traduire la virtuosité musicale dans les mouvements: on danse très vite, et le travail au sol entamé avec Stella s’affirme (nombreux «tomber/rouler» partant de la spirale). Les chorégra­phies pour des parties du corps comme les mains et les pieds sont très présentes et occupent même le devant de la scène, ne serait­ce que du point de vue quantitatif. Les mouvements à l’unisson se «découplent» encore, la polyphonie s’accentue. D’autres détails réfèrent encore à Stella: courir en rond, s’avachir dans les chaises. L’œuvre d’Anne Teresa De Keersmaeker a ceci de spéci­fique que le matériel des œuvres précédentes est invariablement «cité» dans les nouvelles. Ceci peut indiquer une certaine relati­visation vis-à-vis de la proverbiale soif d’originalité. Mais c’est le processus même de création qui est en cause, marqué par l’inves­tigation inlassable et aussi poussée que possible du matériel ges­tuel généré.

 

Hommes / femmes

Achterland, que la créatrice a elle-même filmé en 1994, dénote une fois de plus de l’intérêt que porte Anne Teresa De Keersmaeker aux différences entre hommes et femmes. Sa curio­sité se dirige en particulier tant à ce qu’il y a de propre que de polymorphe, ou de typique et de pluraliste dans la notion de «féminin».
Toute la première partie d’Achterland est remarquablement marquée par l’absence de toute forme d’interaction entre les dan­seurs masculins et féminins. Les deux groupes se produisent sépa­rément, et semblent délibérément s’ignorer s’ils se trouvent ensemble sur la scène. Ce n’est qu’à partir du troisième volet que les danseurs masculins et féminins paraissent percevoir leur pré­sence réciproque par des regards, l’imitation des mouvements, etc. – jusqu’à ce qu’ils se chassent mutuellement et alternative­ment de la scène. C’est un leitmotiv d’Anne Teresa De Keersmaeker, que de jouer sur la tension que suscite la mise en présence d’hommes et de femmes, sur le podium comme ailleurs.
Scène particulièrement marquante de Achterland, celle où Vincent Dunoyer essaie d’imiter les pas aguichants dansés peu auparavant par Nathalie Million. Dunoyer, trottinant, se déhan­chant et se trémoussant avec coquetterie, est irrésistible de drôle­rie. En même temps, il illustre magnifiquement un des principes de la langue chorégraphique d’Anne Teresa De Keersmaeker: il existe des mouvements «masculins» et des mouvements «fémi­nins». Il ne s’agit naturellement pas d’une différence biologique ou naturelle dans le registre des mouvements, mais d’une diver­gence entre le modelage socioculturel, la socialisation, du corps masculin et du corps féminin. On attend des femmes d’autres attitudes et d’autres gestes que des hommes. Cette attente diffé­renciée, «sexuée», pétrit très tôt le levain du corps humain et celui des danseurs. Le résultat de ce modelage différent des corps, Anne Teresa De Keersmaeker ne cherche pas à l’effacer, à la dif­férence du ballet classique, par exemple. Elle essaie plutôt de l’ar­ticuler positivement dans le processus de création et dans les cho­régraphies. Cette option est aussi intégrée dans la recherche déjà signalée de mouvements «pertinents».
Tout comme Pina Bausch, Anne Teresa De Keersmaeker fait souvent allusion dans ses représentations aux stéréotypes sur les hommes et les femmes, qui abondent dans notre culture (voir à ce propos le commentaire sur Stella). Les références portent non seu­lement sur les différents «langages de mouvement» entre hommes et femmes, mais aussi sur les codes vestimentaires dominants, que régit la distinction sexuelle. Ainsi, les danseuses portent dans Achterland des tailleurs ajustés et des hauts talons. Le côté à la fois élégant et réservé que suggère cette tenue «typiquement femme d’affaires» est en contraste criant avec les mouvements exubé­rants, les «tomber/rouler» des danseuses. Ce recyclage ironique des normes sexuelles existantes peut être qualifié de caractéris­tique pour l’œuvre d’Anne Teresa De Keersmaeker. La critique agressive n’est pas son fait, c’est la raison pour laquelle elle s’est explicitement élevée plus d’une fois dans des interviews contre l’étiquetage de son œuvre en termes de féminisme pur et dur.
L’image de la femme qu’Anne Teresa De Keersmaeker présente dans ses productions, est loin d’être univoque. Elle est au contrai­re plurivalente et multidimensionnelle; les danseuses-interprètes se métamorphosent plusieurs fois dans la même représentation. De Keersmaeker semble suggérer qu’il n’existe pas quelque chose comme une identité féminine unique, mais une série ouverte et plurale de «rôles féminins» – que définit évidemment la société. Dans Stella, surtout, (voir ci-dessus) et dans Achterland, ces rôles sont joués de façon subtile, souvent ludique. Une seule distinc­tion revient constamment dans son œuvre: la différence entre la femme et la jeune fille. Les danseuses adoptent dans plus d’une représentation un comportement tantôt malicieux et enfantin, ou coquet et juvénile (le pôle jeune fille), tantôt aguichant et vamp, ou au contraire triste et silencieux ou encore sentimental et réser­vé (le pôle de la femme adulte).

 

Erts
La première version de Erts date de 1992. Cette représentation tient dans l’œuvre d’Anne Teresa De Keersmaeker une place ana­logue à celle d’Elena’s aria, à laquelle nous avons lié le commen­taire de Susan Sontag sur la possible nécessité de briser le contact avec le public. Erts, dans l’œuvre de De Keersmaeker, est un spec­tacle difficile à lire, ce qui explique sa réception particulièrement ambiguë par le public et la presse. La production a une construc­tion disparate et fragmentée; la forme est moins simple que celle d’Achterland, par exemple, la trame moins visible.
Le caractère disparate de Erts s’exprime en premier lieu dans la répartition de l’espace de jeu: un champ ouvert avec deux pla­teaux latéraux, une plate-forme réservée aux musiciens et à l’ar­rière de la scène une bande avec un écran. Parfois, le champ du milieu demeure vide et l’on regarde les images filmées avec Nathalie Million et Vincent Dunoyer. Ils jouent sur l’écran des scènes de A Streetcar named desire de Tennessee Williams, mais ne paraissent pas en tant que danseurs dans la représentation. Le texte de théâtre de Williams avait déjà servi dans Stella. On voit donc ici une fois de plus comme Anne Teresa De Keersmaeker «traîne» son matériel d’une production à l’autre. L’amorce dans un premier projet est la base de la chorégraphie suivante.
Sur le plan musical, Erts repose sur diverses sources. Le Arditti String Quartet exécute en direct la Grosse Füge de Beethoven, Fünf Sätze für Streichkwartet d’Anton Webern, Quatuor 2 d’Alfred Schnittke. À cela s’ajoute un enregistrement de I’m wai­ting for my man du The Velvet Underground. À la reprise de la représentation, Anne Teresa De Keersmaeker ajoute de la musique pop: The Velvet Underground, encore (Sunday morning et All tomorrow’s parties). La nouvelle version de Erts fait égale­ment place à la musique de Luciano Berio, notamment à Sequenza V por trombone et Sequenza III por vocce, que chante en direct la danseuse Johanne Saunier.
Le matériel gestuel de Erts comprend surtout les recherches antérieures sur la spirale, ramper sur les mains et les genoux (Marion Lévy), et «sautiller» les bras tendus sur les côtés. La cho­régraphie sur la Grosse Füge de Beethoven est un passage à la gra­phie fortement contrapuntique, dans lequel les interprètes mascu­lins et féminins affrontent chacun à leur façon le même matériel. Anne Teresa De Keersmaeker se sert ici plus que dans son travail antérieur de l’idiome du ballet classique. La structure chorégra­phique globale de Erts s’écarte cependant du tout au tout du bal­let basé sur la symétrie. La diversité du matériel multidisciplinai­re – musique, texte, film, chant, danse... – se traduit par une com­position fantasque, tout entière pénétrée de dissonances.

 

Contexte institutionnel

Erts est la première production de Rosas en qualité de compagnie en résidence au Théâtre royal de la Monnaie. Cette collaboration structurelle, engagée le 1 janvier 1992, donne évidemment à la compagnie d’Anne Teresa De Keersmaeker une plus grande liber­té d’action. Le «contrat de résidence» signifie en un certain sens aussi le point d’orgue de l’histoire institutionnelle et logistique de Rosas, trop souvent marquée par l’aléatoire.
Anne Teresa De Keersmaeker fait ses premières productions dans le cadre de l’asbl Schaamte. Cette organisation est mise sur pied en 1978 par Hugo De Greef, l’initiateur du Kaaitheaterfesti­val. Schaamte offre un soutien financier et organisationnel à des artistes comme Josse De Pauw et Pat Van Hemelrijck (Radeis), Erik De Volder, Jan Lauwers... et Anne Teresa De Keersmaeker. La direction de l’association est en grande part aux mains des artistes eux-mêmes: ils achètent donc ensemble un immeuble à Bruxelles dans lequel ils installent des locaux de répétition et logent leur l’infrastructure technique, administrative et logistique. Bien que leur comptabilité soit séparée, une forte solidarité éco­nomique règne entre les artistes: les recettes des tournées de l’un sont employées pour couvrir la production encore en cours de l’autre. En même temps, Schaamte, qui fusionne en 1988 avec la maison de production entretemps active du Kaaitheater, bâtit un réseau d’artistes-membres ouvert aux contacts internationaux.
La compagnie Rosas reçoit elle-même en 1984, soit un an après la création de Rosas danst Rosas, une première et modeste sub­vention de 1,5 million de fb de la part du gouvernement fla­mand. À part quelques incidentes subventions de voyage, c’est la première fois que cette instance libère des fonds pour le genre de la danse contemporaine. Il faudra cependant attendre 1993 pour que – dans le cadre du nouveau décret des arts de la scène – une législation globale soit établie pour la «danse-autre-que-le-bal­let» (les subventions pour le Koninklijk Ballet van Vlaanderen sont inscrites chaque année au budget flamand ad nominatum).
Pour 1985 et 1986, Rosas jouit d’une renommée internationa­le, et perçoit 2 millions de fb, un montant qui est doublé en 1987. En 1989 Anne Teresa De Keersmaeker sonne l’alarme: les subventions prévues pour l’année en question, de l’ordre de 5,1 millions de fb, sont largement insuffisantes. Les rumeurs vont bon train: De Keersmaeker et sa compagnie Rosas prendraient peut-être le chemin de l’exil. Quoi qu’il en soit, l’année suivante, les subventions augmentent considérablement: 13 millions de fb, un montant qui demeure inchangé en 1991 et en 1992. En 1993 une légère hausse les fait passer à 14 millions fb, en 1994 une croissance plus substantielle les porte à 23 millions et en 1996, le Ministre de la Culture Flamande décide de suivre l’avis du Conseil de la Danse, et de donner à la «compagnie de pointe» Rosas 40 millions de subventions à partir de 1997, et ceci pour la période de quatre ans prévue par le décret.
Il est évident que les subventions ne sont pas les seules sources de rentrées de Rosas. Anne Teresa De Keersmaeker n’aurait par exemple jamais pu réaliser Ottone Ottone dans ce cas. La créa­tion de cette représentation n’a pu se faire que grâce au soutien financier de coproducteurs belges et étrangers, comme le Théâtre de la Ville de Paris, le Festival International d’Aix-en-Provence, et... le Théâtre de la Monnaie. Depuis que Rosas s’est liée avec cette institution, la compagnie peut aussi compter sur le finance­ment «interne» de la maison d’opéra belge fédérale. En outre, les dernières années, le mécanisme des coproductions répond d’un important apport financier. Last but not least, Rosas réalise un pourcentage relativement haut de rentrées, grâce aux ventes des productions et des représentations. La gestion exemplaire de l’administrateur Guy Gypens et du directeur général Kees Eijrond n’y est pas étrangère.
En 1990, à l’occasion du dixième anniversaire de ses débuts dans l’espace bruxellois De Markten, Anne Teresa De Keersmaeker fait part au public de son désir de reprendre à l’ave­nir des productions antérieures. Rosas se doit de devenir une compagnie de répertoire, ce qui ne peut se faire qu’avec un grou­pe extensif de danseurs. Elle exprime aussi son intention de «tra­vailler de plus en plus avec de la musique exécutée en direct». Rétrospectivement, on peut constater que ces deux vœux ont été exaucés. Les moyens financiers fortement accrus ont permis, pen­dant les années quatre-vingt-dix, de reprendre dans d’autres dis­tributions les productions anciennement ou récemment créées. Car si des textes de haute qualité sont constamment repris dans le répertoire de théâtre, pourquoi n’en irait-il pas de même d’œuvres chorégraphiques de même valeur. Le côté «éphémère», «non-écrit» de la danse y est sûrement pour beaucoup. Depuis le début des années quatre-vingt-dix, Anne Teresa De Keersmaeker s’est appliquée dans sa gestion à l’échafaudage d’un répertoire: Rosas danst Rosas entre autres et Mikrokosmos ont entamé une seconde carrière sur les scènes internationales en 1992. L’intérêt que soulève ce «travail de mémoire» est indéniable, surtout auprès des nouvelles générations d’amateurs de danse. L’accord de collaboration conclu en 1992 avec le Théâtre de la Monnaie a par ailleurs aidé à exaucer le vœu si cher à Anne Teresa De Keersmaeker: travailler «live» avec des musiciens.

 

Mozart/Concert Aria’s. Un moto di gioia

Que la collaboration avec La Monnaie ait ouvert à Rosas de nou­velles possibilités sur le plan de l’interaction entre la musique et la danse, ressort clairement des Mozart/Concert Aria’s - Un Moto di Gioia. Cette représentation très «dansante» va en première en 1992 au Festival d’Avignon. À sa création au Palais des Papes, l’ensemble musical de Philippe Herreweghe joue à l’arrière de la scène; pour les représentations ultérieures, on travaille avec la compagnie Anima Eterna de Jos Van Immerseel, et il faut parfois, en fonction du lieu de la représentation, faire appel à d’autres ensembles. Les trois chanteuses et interprètes des arias de Mozart se tiennent au beau milieu des danseurs, qui pirouettent autour d’elles et avec qui elles font parfois quelques pas de danse. Certaines arias ne sont pas dansées, ou ne s’accompagnent que d’un simple mouvement répété, afin que toute l’attention aille à la musique.
Le sol, une fois de plus conçu par Herman Sorgeloos, se com­pose d’une construction en parquet. Elle a la forme d’un cercle à deux centres, ce qui donne une ellipse irrégulière. Ellipse et spira­le sont ainsi une fois de plus les ingrédients de base de la structu­re chorégraphique. Les schémas classiques que l’on voit émerger, sont constamment dérangés par des éléments dissonants et asy­métriques. Ainsi, les mouvements animaux et fantasques déran­gent coup sur coup les références au langage du ballet, d’apparen­ce plus harmonieuse. Ce matériel dissonant est généré au cours du processus de travail par la méthode d’improvisation de contact.
Comme Ottone Ottone, Mozart/Concert Aria’s est un spectacle bigarré; Rudi Sabounghi, dont le nom revient régulièrement dans les spectacles ultérieurs, est chargé des costumes. Au reste, les deux représentations diffèrent du tout au tout en matière de ton et d’émotion. Anne Teresa De Keersmaeker relate dans Mozart/ Concert Aria’s une «histoire» débordante d’optimisme, avec des garçons et des filles, des hommes et des femmes, des soubrettes et des valets. Les trivialités de l’amour, les rodomontades des gar­çons et les efforts pour mobiliser l’attention des filles, sont ici traités avec gaieté et exubérance. Les hommes et les femmes dan­sent des duos d’amour, chacun des sexes conservant pourtant son propre monde et son matériel gestuel. Tout bien pesé, Mozart/ Concert Aria’s est une représentation légère et pleine d’humour, dans laquelle les rapports et les malentendus entre hommes et femmes sont observés avec finesse et perspicacité.

 

Toccata

En 1993 Anne Teresa De Keersmaeker est l’invitée d’honneur du Holland Festival. À l’occasion de cet événement, elle crée une petite représentation, d’abord intitulée Bach/Creatie 1993, puis Toccata. Il existe maintenant plusieurs versions de cette œuvre, dansée en combinaisons changeantes par cinq interprètes, quatre femmes et un homme.
Pour la première fois depuis Bartók/Aantekeningen, Anne Teresa De Keersmaeker danse elle-même, et le matériel gestuel «qui vient du corps» se fond ici de nouveau avec les apports de danse des interprètes. Cinq compositions de Jean Sébastien Bach forment la base de cette chorégraphie: Toccata in e-moll, Fantasie und Fuga in a-moll, Französische Suite V in G-dur, Sonata nach der Violinsonate in a-moll, d-moll, et Nur komm’ der Heiden Heiland. Bien que sa musique n’ait pas été conçue pour la danse, Bach se révèle comme toujours un mathématicien de génie dans ces partitions: aussi les structures mathématiques et les références à l’ordre cosmique influent-elles sur les motifs gestuels qu’Anne Teresa De Keersmaeker met en scène dans cette production. Cette ligne mathématique sera développée dans la chorégraphie de Kinok et d’Amor constante más allá de la muerte.
Dans l’univers de Toccata, l’harmonie triomphe encore du chaos. Le langage gestuel presque classique – ici et là nourri d’at­titudes et de schémas empruntés à la danse de la Renaissance – infuse cette œuvre de sérénité et de délicatesse. Mais ici encore, le classicisme de l’architecture chorégraphique, la continuité du langage gestuel et l’harmonie émotionnelle sont volontairement brisés: une hanche se plante de travers, un genou craque, un corps échappe au contrôle. Dans cette chorégraphie, on ne voit presque plus de danse à l’unisson, et les mouvements au sol sont moins présents que dans d’autres productions. La structure contrapuntique, qui opte pour des mouvements alternativement rapides, gais et tranquilles, domine entièrement la représentation. On remarque les mouvements ronds des bras, d’apparence clas­sique, que l’on retrouve plus tard dans Kinok et Amor Constante.
Comme dans Mozart/Concert Aria’s, il y a dans Toccata un moment musical autonome qui invite le spectateur à l’écoute. La représentation ouvre en effet sur l’exécution de la Toccata in e-moll par Jos Van Immerseel, dont le piano à queue ouvert (en forme de deux spirales enlacées) semble enfoncer un coin dans le sol. «Toccare» veut dire «toucher» en italien, dans toute l’accep­tion de «percevoir» et «émouvoir». Dans Toccata, Anne Teresa De Keersmaeker couple un puissant sentiment de liberté et d’ou­verture à la sévère géométrie de la chorégraphie: celle-ci est cependant d’une telle complexité que toute impression de rigo­risme disparaît.

 

Kinok

Comme Mikrokosmos, Kinok qui va en première en 1994, est aussi une soirée de danse tripartite: trois chorégraphies avec cha­cune leur histoire sont réunies en une seule et même représenta­tion. Comparé à Mikrokosmos – ou à l’ultérieur Woud – ce ne sont pas tant les données externes, comme le décor, qui confèrent une unité à l’ensemble. Le tout fusionne par la grâce du langage dansé, qui marque malgré sa diversité apparente une nouvelle phase évolutive dans l’œuvre chorégraphique d’Anne Teresa De Keersmaeker: le rapprochement circonspect avec l’idiome de la danse classique.
Rosa, le premier volet, est un duo dansant sur la Sonate pour violon de Belá Bartók. À l’origine, Anne Teresa De Keersmaeker le crée pour Fumiyo Ikeda et Nordine Benchorf, en vue du court métrage couvert de lauriers Rosa, que Peter Greenaway réalise en 1992 dans le foyer de l’Opéra de Gand. Retour à Bartók, donc, et de nouveau un duo pour un homme et une femme (voir Mikrokosmos et le volet d’ouverture de cette production de 1987). La version scénique de Rosa est interprétée par plusieurs distributions successives. L’augmentation des moyens financiers permet en effet à la compagnie Rosas d’augmenter le nombre de ses membres en vue de la nouvelle fonction de répertoire. Au cours des dernières années, la composition de la compagnie s’est donc constamment enrichie et modifiée. Des «valeurs sûres» s’af­firment pourtant, comme Cynthia Loemij, Samantha Van Wissen, Marion Lévy, Anne Mousselet, et plus tard Sarah Ludi et Marion Ballester.
La deuxième partie de Kinok s’intitule également Kinok. Il s’agit d’une étude pour une chorégraphie, qui sera plus tard inté­grée dans la production créée en 1994 Amor constante más allá de la muerte. La séquence de mouvements qu’exécute la danseu­se Marion Ballester dans Kinok, peut être considérée comme «l’archétype» ou la phrase basique d’Amor Constante: un lent fléchissement de côté avec les bras classiquement tendus, exécu­té sur le thème joué par le hautbois. Chaque danseur dispose dans Kinok de son propre matériel gestuel, avec des points de départ musicaux distincts. On ne voit donc ici que très peu de danse à l’unisson. Le dernier volet de la représentation Kinok est un remaniement de la chorégraphie sur Grosse Füge de Beethoven, conçu pour Erts à l’origine. Neuf danseurs exécutent des figures changeantes en duos et trios; dans cet épilogue, par moments, toute liberté est laissée à la musique.

 

Amor constante más allá de la muerte

Avec Amor constante más allá de la muerte (1994), Anne Teresa De Keersmaeker reprend, douze ans après Rosas danst Rosas, sa collaboration avec le compositeur Thierry De Mey. De nouveau, on travaille simultanément et ensemble à la danse et à la musique. Cela se traduit par une représentation en tout point multidimensionnelle. La création coïncidente de la musique et de la danse, surtout, pendant le processus de travail, conduit à des formes très complexes et souvent innovatrices. Les structures de danse génèrent un matériel sonore et vice et versa; ou encore, la musique et la danse, partant d’une donnée externe comme la spi­rale, développent leur matériel propre.
Amor Constante se compose de sept volets; Kinok dont nous venons de parler, en est un. Comme Kinok a été créé en premier, cette chorégraphie fait office de «matrice» d’ou naît le reste du langage gestuel. Dans celui-ci, la spirale est essentielle: les mou­vements ascendants et descendants lui sont subordonnés, ainsi que les parcours dessinés sur l’aire de jeu, qui se terminent enrou­lés vers l’intérieur ou ouverts vers l’extérieur. Le titre réfère à une autre source essentielle d’inspiration de cette représentation, le poème du même titre de l’écrivain espagnol baroque Quevedo. Les deux interprétations possibles de la spirale – de l’intérieur à l’extérieur, et vice et versa – peuvent aussi être reliées à la vie et à la mort, à ce qui meurt et ce qui survit, et ainsi avec «l’au-delà», comme le décrit Quevedo. Le texte même du poème est incorpo­ré à la représentation sous la forme d’une version mimée.
Dans Amor Constante, chaque danseur propose son propre matériel gestuel et ses propres trajets. La tonalité de certains ins­truments de musique, comme le hautbois, est couplée à certains danseurs. Tout part donc de personnages abstraits, musicaux, même. La chorégraphie est entièrement contrapuntique, avec une forte influence du «vocabulaire classique» mais – une fois enco­re – sans intégration de la symétrie ou de l’harmonie du ballet traditionnel.
C’est l’ensemble musical Ictus, depuis quelque temps en rési­dence dans les bâtiments de Rosas, qui exécute en direct la musique de Thierry De Mey. À plusieurs reprises, l’effectif est intégré dans la chorégraphie. Différents morceaux de la partition sont exécutés à différents endroits de la scène. En l’occurrence, on remarque particulièrement la partie dans laquelle les musi­ciens, assis à l’arrière de la scène, exécutent un morceau de per­cussion sous la direction de la danseuse Marion Ballester: un exemple scénique saisissant de l’intense interaction entre la danse et la musique dans Amor Constante.

 

Erwartung/Verklärte Nacht/ Begleitmusik zu einer Lichtspielszene

Fin 1995, le Théâtre de la Monnaie de Bruxelles présente le trip­tyque Erwartung/Verklärte Nacht/Begleitmusik zu einer Licht­spielszene. Dans cette représentation, pour la première fois depuis sa résidence à La Monnaie, Rosas intervient en tant qu’un «opéra-ballet», qui répond des divertissements pendant une soi­rée d’opéra. La façon dont Anne Teresa De Keersmaeker et Rosas remplissent cette fonction, lui confère cependant une tout autre définition. Car la danse n’est ici en aucun cas asservie à l’opéra, dont elle est au contraire la partenaire décisive et à part entière dans la totalité de la représentation, qu’accompagne l’orchestre de La Monnaie sous la direction d’Antonio Pappano.
Ce qui donne toute son unité à ce triptyque, c’est la musique d’Arnold Schönberg. Le décor de Gilles Aillaud – la lune reve­nante, la forêt réaliste – joue aussi un rôle de liant. La représen­tation dans sa totalité est placée sous la double direction d’Anne Teresa De Keersmaeker et du metteur en scène allemand Klaus Michael Grüber. Il ouvre la soirée avec une mise en scène du solo Erwartung, chanté alternativement par Anja Silja et Janis Martin. La deuxième partie est une sorte d’entracte: sur la Begleitmusik zu einer Lichtspielszene de Schönberg, est joué un fragment – la scène de la cabine – du film A Night at the Opera des Marx Brothers. Pendant la projection, Marion Lévy danse comme une petite fille déchaînée devant l’écran, regardant par­fois le film et ses personnages – ce qui accentue encore le contras­te entre le film et la musique.
La représentation se termine par une chorégraphie de groupe d’Anne Teresa De Keersmaeker sur la musique de Verklärte Nacht, une œuvre de Schönberg à classer dans le romantisme tar­dif. Cette composition est basée sur un poème de Richard Dehmel: la nuit, dans un bois baigné de lune, une femme avoue à l’homme qu’elle aime qu’elle est enceinte d’un autre; sur quoi l’homme lui pardonne. Anne Teresa De Keersmaeker fait incar­ner ce thème romantique par six couples, plus deux solos de femmes. Le romantisme de la musique est tempéré par les élé­ments dissonants dans le matériel gestuel. Car bien qu’il s’agisse de la chorégraphie la plus «classique» de De Keersmaeker, la sphère idoine est constamment interrompue par les proverbiaux mouvements brusques et fantasques, les spirales, les soudaines accélérations ou par les sauts particulièrement incongrus dans ce contexte. La trame du poème perce sous la chorégraphie, mais le choix conscient de mettre plus d’un couple en scène empêche l’apparition illustrative de personnages. Le caractère abstrait de la danse est pourtant tempéré par des manipulations réalistes, concrètes: on ôte des chaussures ou une chemise, l’homme recouvre la femme de sa veste.

 

Woud
Three Movements to the Music of Berg, Schönberg & Wagner

Les différentes représentations d’Anne Teresa De Keersmaeker s’enfilent comme des perles à un collier. En 1996, la chorégraphie de Verklärte Nacht de Schönberg s’insère dans la chorégraphie de Woud. Encore un triptyque, précédé d’un court métrage, intitulé Tippeke. De Keersmaeker continue à explorer les régions fronta­lières entre la danse et les autres disciplines. Le film est signé par Thierry De Mey et montre une femme – interprétée par Anne Teresa De Keersmaeker elle-même – qui danse dans un bois entre les arbres en récitant la comptine enfantine Tippeke. L’accompa­gnement musical du film est un solo de violoncelle, également de la main de Thierry De Mey.
Tout naturellement Tippeke se fond dans une chorégraphie, dansée sur la Lyrische Suite de Alban Berg et située dans le décor forestier de Gilles Aillaud pour Verklärte Nacht. Le langage ges­tuel explore le vocabulaire classique de façon beaucoup plus explicite que dans les productions précédentes. Les accents «expressifs» personnels répondent pourtant d’une atmosphère hautement individuelle. Anne Teresa De Keersmaeker, dans son œuvre, ne s’est jamais insurgée formellement contre le ballet clas­sique, ni contre l’idiome dansé de ses prédécesseurs. Pourtant, on constate que sa relation avec la tradition de danse témoigne dans les dernières productions d’une autre attitude. C’est l’attitude d’une artiste qui a atteint la phase de maturité artistique, et veut par conséquent initier une relation personnelle avec l’histoire de la danse.
La Lyrische Suite de Berg est suivie, après quelques change­ments dans le décor de la forêt, par la chorégraphie sur la Verklärte Nacht de Schönberg. Woud se termine sur une courte danse sur Im Treibhaus, l’un des lieder de Wesendonck de Wagner. C’est à croire qu’Anne Teresa De Keersmaeker veut retourner dans cette représentation aux sources de la tradition classico-moderne, sur le plan de la musique aussi. Ouvrir par une composition de De Mey pour passer à Berg et Schönberg et arri­ver à Wagner: l’histoire chronologique de la musique parcourue à l’envers.
À plus d’un égard, Woud traite de la relation entre la danse et la musique, exécutée en direct dans cette production par le Duke Quartet (étendu au sextuor pour Verklärte Nacht et Im Treibhaus). La représentation confirme une fois encore que l’œuvre d’Anne Teresa De Keersmaeker est tout entière placée sous le signe de la recherche d’une fructueuse «pollinisation croi­sée» des deux formes artistiques, en quête d’une poétique qui les réunisse toutes deux. En outre, d’autres mobiles signifiants confèrent une unité dramaturgique rigoureuse à Woud. Ainsi, la donnée de la passion (impossible) entre homme et femme, qui sous-tend les compositions de Berg, Schönberg et Wagner. La nature aussi – le bois dans Tippeke, la scénographie changeante de la forêt – est explicitement présente du début à la fin. Les images du film sont d’ailleurs à nouveau projetées en épilogue de Woud. Et finalement, la dramaturgie en soi: l’enfant Tippeke, seule dans le bois dans les images filmées par lesquelles s’ouvre la représentation, est à la fin – dans le Im Treibhaus de Wagner – une femme seule dans un bois.

 

Solo for Vincent (Dunoyer)

En 1997 Anne Teresa De Keersmaeker fait sa première chorégra­phie à la demande d’un tiers, quoiqu’il soit loin de s’agir d’un inconnu. Solo for Vincent (Dunoyer) est en effet créé pour un danseur lié depuis de nombreuses années à la compagnie Rosas, et avec qui De Keersmaeker a, entre autres dans Achterland, lon­guement exploré les façons de traduire les «mouvements fémi­nins» pour un corps masculin. La chorégraphie fait partie d’un triptyque. Outre Solo for Vincent, la représentation de Dunoyer comprend Dances with TV and Mic (mis en scène par Liz LeCompte du Wooster Group) et Carbon, signé par le célèbre danseur et chorégraphe Steve Paxton. Dans sa contribution, Anne Teresa De Keersmaeker analyse les méthodes qui permet­tent d’arriver à un langage commun entre le danseur et le choré­graphe, l’homme et la femme.

 

PARTS
Nous l’avons constaté dans notre introduction, et nous ne pou­vons que le répéter ici: l’œuvre encore en pleine évolution d’Anne Teresa De Keersmaeker ne se prête pas aux conclusions hâtives. Pourtant, la présentation synoptique de cette œuvre fait appa­raître d’indéniables lignes de force, peut-être même en dépit des intentions de l’auteur. Nous pensons ici en particulier à la recherche de différentes hybridations entre les disciplines scé­niques et artistiques; à l’importance thématique de la «différen­ciation sexuelle» et, parallèlement, du «féminin»; à la recherche des relations synthétiques entre la danse et la musique, basée sur une analyse de la partition; au glissement progressif mais néan­moins explicite en direction d’un dialogue positif avec la tradi­tion de la danse; et finalement à «l’émancipation des danseurs/ danseuses» obtenue grâce à leur libre contribution au processus de travail et à leur élaboration d’un matériel gestuel.
C’est d’avoir à travailler jour après jour avec des danseurs entraînés à n’être que de «purs exécutants» qui a incité Anne Teresa De Keersmaeker à fonder une nouvelle école de danse. L’initiative des Performing Arts Research and Training Studios (PARTS) a démarré officiellement après une période de recherche et de préparation intensive en 1995. Cette formation d’une durée de trois ans vise à instruire des interprètes multimédias haute­ment compétents, à l’esprit formé à la critique et à la réflexion. Des auditions internationales permettent à un maximum de tren­te élèves par an de suivre ces cours. La compagnie internationale de jeunes gens a un programme en phases, qui s’inscrit dans les lignes de force qui régissent l’œuvre d’Anne Teresa De Keersmaeker et dont nous avons parlé.
Une «journée de travail» normale commence chez PARTS par une classe de danse. Les élèves reçoivent des leçons tant de ballet
classique que de danse moderne et contemporaine. On s’attache à atteindre un équilibre entre les divers courants de danse du vingtième siècle. Les professeurs sont, ou ont été, liés aux com­pagnies les plus prestigieuses: Cunningham, Trisha Brown, Forsythe, Bausch... Ou chez Rosas: les étudiants de PARTS apprennent le répertoire de Rosas. Les vocabulaires chorégra­phiques de Brown, Forsythe, Bausch et De Keersmaeker forment – outre le vocabulaire classique – les points d’ancrage pédago­giques de l’entreprise de danse. L’enseignement ne demeure cependant pas limité à «apprendre à danser». Chaque année, une période est consacré à un atelier intensif de théâtre et l’étude de la musique (chant, rythme, analyse de la musique) est, après celui de la danse, le pilier le plus important de l’école PARTS. Fernand Schirren, jadis professeur de la jeune Anne Teresa De Keersmaeker à Mudra, dispense l’étude de la rythmique aux dan­seurs débutants. On remarquera également la part importance donnée aux disciplines théoriques comme la philosophie, la sémiotique et la sociologie. On insuffle également une conscien­ce historique aux élèves, entre autres par le biais de leçons d’his­toire du théâtre et de la danse, et d’un enseignement – orienté projets – du cinéma et des arts plastiques.
Avec la fondation de PARTS, Anne Teresa De Keersmaeker a bouclé la boucle, pourrait-on dire. Elle a écrit l’histoire de la danse avec sa propre œuvre au cours des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix; PARTS contient la promesse d’une appropria­tion créative des principes de base de cette œuvre pour les géné­rations suivantes. Mais l’image récurrente du cercle nous induit en erreur: dans l’avenir, l’œuvre d’Anne Teresa De Keersmaeker sera en premier lieu perpétuée et, n’en doutons pas, renouvelée, par elle-même.

 

ŒUVRES / CHORÉGRAPHIES
On trouvera ci-dessous, classés par saison: le titre en italique, les noms des chorégraphes, compositeurs, danseurs (dans la distribution de la création de l’œuvre) scénographes, lieu et date de la première. En com­plément, quelques données sur les films et les vidéos réalisés.

Danse et arts de la scène

1980-1981
Asch. Chorégraphie: Anne Teresa De Keersmaeker. Musique: Serge Biran, Christian Copin. Danse: Jean Luc Breuer, Anne Teresa De Keersmaeker. Nieuwe Workshop Bruxelles. 21 octobre 1980.

1981-1982
Fase, Four Movements to the Music of Steve Reich. Chorégraphie: Anne Teresa De Keersmaeker. Musique: Steve Reich. Danse: Anne Teresa De Keersmaeker, Michèle Anne De Mey. Beursschouwburg Bruxelles. 18 mars 1982.

1982-1983
Rosas danst Rosas. Chorégraphie: Anne Teresa De Keersmaeker. Musique: Thierry De Mey - Peter Vermeersch. Danse: Adriana Borriello, Anne Teresa De Keersmaeker, Michèle Anne De Mey, Fumiyo Ikeda. Kaaitheaterfestival, Théâtre de la Balsamine Bruxelles. 6 mai 1983

1984-1985
Elena’s Aria. Chorégraphie: Anne Teresa De Keersmaeker. Musique: Di Capua, Bizet, Donizetti, Mozart. Danse: Anne Teresa De Keersmaeker, Michèle Anne De Mey, Nadine Ganase, Roxane Huilmand, Fumiyo Ikeda. Koninklijke Vlaamse Schouwburg Bruxelles. 18 octobre 1984.

1985-1986
Bartók/Aantekeningen. Chorégraphie: Anne Teresa De Keersmaeker. Musique: Béla Bartók. Danse: Anne Teresa De Keersmaeker, Nadine Ganase, Roxane Huilmand, Fumiyo Ikeda, Johanne Saunier. Scéno­graphie: Gisbert Jäkel. C.B.A. Bruxelles. 16 mai 1986.

1986-1987
Verkommenens Ufer/Medeamaterial/Landschaft mit Argonauten (Heiner Müller). Chorégraphie et mise en scène: Anne Teresa De Keersmaeker.
Danseurs et acteurs: Kitty Kortes Lynch, Johan Leysen, André Verbist. Scénographie: Herman Sorgeloos. Springdance Festival Utrecht. 4 avril 1987.

1987-1988
Mikrokosmos. Monument/ Selbstporträt mit Reich und Riley (und Chopin ist auch dabei)/ Im zart fliessender Bewegung - Quatuor No.4.
Chorégraphie: Anne Teresa De Keersmaeker. Musique: Béla Bartók, György Ligeti. Danse: Jean-Luc Ducourt, Johanne Saunier, Nadine Ganase, Roxane Huilmand, Fumiyo Ikeda. Scénographie: Herman Sorgeloos. Halles de Schaerbeek Bruxelles. 1 octobre 1987.

1988-1989
Ottone, Ottone. Chorégraphie: Anne Teresa De Keersmaeker. Musique: Claudio Monteverdi. Danse: Nicole Balm, Nordine Benchorf, Michèle Anne De Mey, Pierre Droulers, Jean-Luc Ducourt, Natalia Espinet I Valles, Nadine Ganase, Fumiyo Ikeda, John Jasperse, Kitty Kortes Lynch, Nathalie Million, Oscar Dasi Perez, Vincente Saez, Johanne Saunier, Wouter Steenbergen, Marc Willems. Scénographie: Herman Sorgeloos. Halles de Schaerbeek, Bruxelles. 22 septembre 1988.

1989-1990
Stella. Chorégraphie: Anne Teresa De Keersmaeker. Musique: György Ligeti. Danse: Fumiyo Ikeda, Marion Levy, Nathalie Million, Carlotta Sagna, Johanne Saunier. Scénographie: Herman Sorgeloos. Toneel­schuur, Haarlem. 9 mars 1990

1990-1991
Achterland. Chorégraphie: Anne Teresa De Keersmaeker. Musique: György Ligeti, Eugène Ysaye. Danse: Nordine Benchorf, Bruce Campbell, Vincent Dunoyer, Fumiyo Ikeda, Marion Levy, Nathalie Million, Carlotta Sagna, Johanne Saunier. Scénographie: Herman Sorgeloos, Anne Teresa De Keersmaeker. Théâtre de la Monnaie, Bruxelles. 27 novembre 1990.

1991-1992
Erts. Chorégraphie: Anne Teresa De Keersmaeker. Musique: Ludwig van Beethoven, Anton Webern, Alfred Schnittke, Luciano Berio, Velvet Underground. Danse: Nordine Benchorf, Bruce Campbell, Vincent Dunoyer, Thomas Hauert, Muriel Hérault, Oliver Koch, Marion Levy, Cynthia Loemij, Nathalie Million, Anne Mousselet, Johanne Saunier, Eduardo Torroja, Samantha Van Wissen. Scénographie: Herman Sorgeloos. Halles de Schaerbeek, Bruxelles. 2 février 1992. / Mozart/ Concert Arias, un moto di gioia. Chorégraphie: Anne Teresa De Keersmaeker. Musique: Wolfgang Amadeus Mozart. Danse: Nordine Benchorf, Marc Bruce, Bruce Campbell, Vincent Dunoyer, Phillip Egli, Joanne Fong, Thomas Hauert, Muriel Hérault, Marion Levy, Cynthia Loemij, Nathalie Million, Anne Mousselet, Johanne Saunier, Eduardo Torroja, Samantha Van Wissen. Scénographie: Herman Sorgeloos. Palais des Papes, Festival d’Avignon. 30 juillet 1992.

1992-1993
Toccata. Chorégraphie: Anne Teresa De Keersmaeker. Musique: Johann Sebastian Bach. Danse: Anne Teresa De Keersmaeker, Vincent Dunoyer, Fumiyo Ikeda, Marion Levy, Johanne Saunier. Scénographie: Herman Sorgeloos. Beurs van Berlage, Amsterdam. 27 juin 1993.

1993-1994
Kinok. Rosa/Kinok/Große Füge. Chorégraphie: Anne Teresa De Keersmaeker. Musique: Béla Bartók, Thierry De Mey, Ludwig van Beethoven. Danse: Suman Hsu, Ossman Kassen Khelili, Marion Ballester, Franck Chartier, Misha Downey, Philipp Egli, Thomas Hauert, Sarah Ludi, Christian Spuck. Scénographie: Herman Sorgeloos. Lunatheater, KunstenFestivaldesArts, Bruxelles. 18 mai 1994.

1994-1995
Amor constante más allá de la muerte. Chorégraphie: Anne Teresa De Keersmaeker. Musique: Thierry De Mey. Danse: Marion Ballester, Philipp Egli, Misha Downey, Kosi Hidama, Suman Hsu, Osman Kassen Khelili, Brice Leroux, Marion Levy, Cynthia Loemij, Mark Lorimer, Sarah Ludi, Anne Mousselet, Johanne Saunier, Samantha Van Wissen. Scénographie: Herman Sorgeloos. Cirque Royal, Bruxelles. 30 novembre 1994.

1995-1996
Erwartung/Verklärte Nacht/Begleitmusik zu einer Lichtspielszene.
Chorégraphie: Anne Teresa De Keersmaeker. Musique: Arnold Schönberg. Danse: Marion Ballester, Misha Downey, Kosi Hidama, Suman Hsu, Osman Kassen Khelili, Oliver Koch, Brice Leroux, Marion Levy, Cynthia Loemij, Mark Lorimer, Sarah Ludi, Anne Mousselet, Johanne Saunier, Samantha Van Wissen. Scénographie: Gilles Aillaud. Théâtre de la Monnaie, Bruxelles. 4 novembre 1995.

1996-1997
Woud. Three movements to the music of Berg, Schönberg & Wagner.
Chorégraphie: Anne Teresa De Keersmaeker. Musique: Thierry De Mey, Alban Berg, Arnold Schönberg, Richard Wagner. Danse: Marion Ballester, Iris Bouche, Farooq Chaudhry, Kosi Hidama, Suman Hsu, Oliver Koch, Sarah Ludi, Cynthia Loemij, Mark Lorimer, Samantha Van Wissen. Scénographie: Gilles Aillaud, Anne Teresa De Keersmaeker.
Teatro Central, Séville, Espagne. 19 décembre 1996. / Solo voor Vincent. Chorégraphie: Anne Teresa De Keersmaeker. Musique: Heinz Holliger, Robert Schumann. Danse: Vincent Dunoyer. Spring Dance Festival, Utrecht. 20 avril 1997.

1997-1998
Just before. Chorégraphie et mise et scène: Anne Teresa De Keersmaeker. Musique: Thierry De Mey, Magnus Lindberg, Steve Reich, John Cage, Iannis Xenakis, Claude Debussy, Pierre Bartholomée. Danse: Iris Bouche, Bruce Campbell, Farooq Chaudry, Alix Eynaudi, Fumiyo Ikeda, Martin Kilvády, Oliver Koch, Cynthia Loemij, Roberto Oliván de la Iglesia, Ursula Robb, Taka Shamoto, Rosalba Torres. Scénographie: Jan Versweyveld. Théâtre de la Monnaie, Bruxelles, 12 novembre 1997. / Hertog Blauwbaards burcht. Chorégraphie et mise en scène: Anne Teresa De Keersmaeker. Danse: Iris Bouche, Bruce Campbell, Alix Eynaudi, Fumiyo Ikeda, Martin Kilvády, Oliver Koch, Cynthia Loemij, Sarah Ludi, Anne Mousselet, Roberto Oliván de la Iglesia, Ursula Robb, Johanne Saunier, Taka Shamoto, Rosalba Torres, Samantha van Wissen. Chanteurs: Svetelina Vassileva, Victor Braun, Ronnie Johansen, Anne Schwanewilms. Ménestrel: Annie Henderyckx-Szikora. Musique: Béla Bartók, Scénographie: Gisbert Jäkel. Théâtre de la Monnaie, Bruxelles, 24 février 1998.

1998-1999
Drumming. Chorégraphie: Anne Teresa De Keersmaeker. Danse: Iris Bouche, Bruce Campbell, Marta Coronado, Alix Eynaudi, Fumiyo Ikeda, Martin Kilvády, Oliver Koch, Cynthia Loemij, Roberto Oliván de la Iglesia, Ursula Robb, Taka Shamoto, Rosalba Torres. Musique: Steve Reich. Scénographie: Jan Versweyveld. Impuls Tanz Vienne, 7 août 1998. / Quartett. Coproduction Toneelspelersgezelschap Stan et Rosas. Danse: Jolente De Keersmaeker, Frank Vercruyssen, Anne Teresa De Keersmaeker, Cynthia Loemij. Scénographie: Herman Sorgeloos. Lunatheater, Bruxelles, 4 mars 1999. / Anatol. Chorégraphie et mise en scène: Anne Teresa De Keersmaeker,  en coll. avec Jolente De Keersmaeker. Danse: Iris Bouche, Bruce Campbell, Alix Eynaudi, Fumiyo Ikeda, Martin Kilvády, Oliver Koch, Roberto Oliván de la Iglesia, Ursula Robb, Taka Shamoto, Rosalba Torres. Musique: Johannes Brahms, Aka Moon, Ictus Ensemble. Scénographie: Jan Joris Lamers. Lunatheater, Bruxelles, 4 mai 1999.

 

FILMS ET VIDÉOS

1989
Hoppla! Chorégraphie: Anne Teresa De Keersmaeker. Réalisation: Wolfgang Kolb (16 mm couleurs).

1990
Ottone/Ottone (monologue de Fumiyo Ikeda). Chorégraphie: Anne Teresa De Keersmaeker. Réalisation: Walter Verdin, Anne Teresa De Keersmaeker (betacam SP, n/b).

1991
Ottone/Ottone I & II. Chorégraphie: Anne Teresa De Keersmaeker. Réalisation: Walter Verdin, Anne Teresa De Keersmaeker (betacam SP, couleurs & n/b).

1992
Rosa. Chorégraphie: Anne Teresa De Keersmaeker. Réalisation: Peter Greenaway (35 mm n/b).

1993
Mozart/Materiaal (documentaire). Réalisation: Ana Torfs et Jürgen Persijn (betacam SP).

1994
Achterland. Chorégraphie et réalisation: Anne Teresa De Keersmaeker (35 mm n/b).

1996
Tippeke.
Chorégraphie et danse: Anne Teresa De Keersmaeker. Réalisation et musique: Thierry De Mey (super 16 mm couleurs).

1997
Rosas danst rosas. Chorégraphie: Anne Teresa De Keersmaeker. Réalisation: Thierry De Mey (35 mm).

 

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

Matériel d’archives
Archive Rosas. Archive Kaaitheater. Vlaams Theater Instituut.

Ouvrages de référence et articles

Rosas Album, foto’s Herman Sorgeloos, Amsterdam: Nederlands Theater Instituut, 1993.
Korteweg, A. Uitgedraaid: elf stukken over dans. Over de vloeibare dan­sers van ATDK, Nederlands Instituut voor de Dans, novembre, 1992.

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Boxberger, E. ‘Bewegungen aus dem Nichts. Anne Teresa De Keersmaeker über die Rolle der Musik und die Arbeit mit der Tänzern’, dans: Tanz Aktuell, novembre-décembre 1993, 14-17.
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Dubois, M. ‘Le corps dansé envol ou vol plané?’, dans: Art & Culture, septembre 1994, 20-21.
Genicot, Th. ‘Anne Teresa De Keersmaeker retour aux sources’, dans: Art & Culture, novembre 1994, 61.
Mallems, A. ‘Anne Teresa De Keersmaeker. Haar zekere onzekerheden’, dans: Notes, juin 1993, 8-10.
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Verstockt, K. ‘Een storm in een glas water of een nieuw elan voor de dans. Jonge Vlaamse choreografen’, dans: Ons Erfdeel, 4, 1991, 555-562.
Weldman, S. ‘Danse Dense. Constance et Circonstances’, dans: Art & Culture, novembre 1990, 9-12.
Welzien, L. ‘What men are moved by’, dans: Ballet Tanz, avril 1994, 18-19.

Articles par représentation

Fase

De Bruycker, D. ‘Fase d’A.T. de Keersmaeker. Au-delà du minimalisme’, dans: Pour la danse, novembre 1983.
Jordan, S. et H. Friend. ‘ Dance Umbrella Part III’, dans: Dancing Times, janvier 1983.
Parry, J. ‘De Keersmaeker’, dans: Dance and Dancers, février 1983.
TVR. ‘Anne Teresa De Keersmaeker over de grenzen’, dans: Etcetera, 1, 1983, 48.
Verstockt, K. ‘Hoop voor het nieuwe ballet’, dans: Knack, 31 mars 1982.

Rosas danst Rosas

De Bruycker, D. ‘Anna (sic) Térésa De Keersmaeker: Rosas danst Rosas’, dans: Pour la danse, juillet 1983.
Van Kerkhoven, M. ‘Rosas danst Rosas. Plots rolt iemand weg uit die stille machine van lijven’, dans: Etcetera, juin 1983, 9-12.

Elena’s Aria

De Jonge, P. et K. Tindemans, ‘Anne Teresa De Keersmaeker. De vecht­lust van de kwetsbare’, dans: Etcetera, janvier 1985, 16-20.
De Jonge, P. et K. Tindemans, ‘Elena’s Aria’, dans: Etcetera, janvier 1985, 21.
Kisselgoff, A. ‘De Keersmaeker’s Innovative Choreography’, dans: The New York Times, 6 novembre 1987.

Bartok/Aantekeningen

Deputter, M. ‘Bartók/Aantekeningen: Schijnbaar moeiteloze elegantie’, dans: Etcetera, juillet 1986, 48-50.
Kisselgoff, A. ‘Startling Images From a Young Choreographer’, dans: The New York Times, 9 novembre 1986.
Lanz, I. ‘The Netherlands: De Keersmaeker. Undisputed Highlight of Holland Festival ’86’, dans: Ballet International, septembre 1986. Jowitt, D. ‘Minimalism? More Like a Feast’, dans: Village Voice, 18 novembre 1986. Parry, J. ‘Gasps, slaps, gasps, slaps’, dans: Observer, 16 février 1986. Percival, J. ‘Taking Small Steps Forward’, dans: The Times, 13 février 1986.
Six, G. ‘De dans ontsprongen. De Newyorkse toernee van Rosas en Anne Teresa De Keersmaeker’, dans: Knack, 27 novembre 1986.

Mikrokosmos

Adolphe, J.-M. ‘Bruxelles Paris’, dans: Pour la danse, mai 1987.

Ottone Ottone

Arvers, F. ‘Ottone, Ottone’, dans: Pour la danse, n° 160/161, juillet-août
1989, p. 23. De Vuyst, H. ‘Ottone, Ottone’, dans: Etcetera, 4, 1988, 28-30. Korteweg, A. ‘De woede van choreografe Anne Teresa De Keersmaeker.
Angst is een chemisch proces’, dans: De Volkskrant, 18 novembre 1988. Odenthal, J. ‘Ottone, Ottone’, dans: Tanz Aktuell, juillet-août 1989, 18-19. Tee, E. ‘Ottone, Ottone/1991’, dans: Notes, décembre 1991, 6-9. Verstockt, K. ‘De pijnlijkste gevoelens van een mens’, dans: Knack, 12
octobre 1988.

Stella

Heijer, J. ‘Ze stelt zich aan, ze kan niet anders’, dans: NRC Handelsblad, 23 mars 1990. Hughes, D. ‘Stop making sense’, dans: Dance Theatre Journal, été 1991,16-19. Verstockt, K. ‘Op het scherp’, dans: Knack, 28 mars 1990.

Achterland

De Jonge, S. ‘Anne Teresa De Keersmaeker danst. “De pijn stroomt mij altijd veel langer door het bloed dan het geluk.”’, dans: Humo, 6 février 1991 (interview).
Lambrechts, A.-M. ‘Anne Teresa De Keersmaeker: Achterland, m/v’, dans: Etcetera, 33, 10-12. Van Rompay, Theo ‘Anne Teresa De Keersmaeker / Rosas. Achterland’, dans: De Munt/ La Monnaie Magazine, juin et septembre 1993, 30-31.
Van Toorn, W. ‘De onbereikbaarheid van het gewone’, dans: Notes, jan­vier 1991, 5-7.
‘Materiaal dat provoceert, daar hou ik van’, dans: Notes, mai 1991, 14-17.

Erts

Duynslaeger, P. ‘Ongrijpbaar aards. De Keersmaeker zet lichaamstaal om in pure filmtaal’, dans: Knack, 29 juin 1994.
T’Jonck, P. ‘De lucht is zwanger van onuitgesproken verlangens’, dans: Etcetera, 37, 1992, 10-12.
T’Jonck, P. ‘Rosas danst Erts. Op zoek naar nieuwe verbanden’, dans: Notes, mars 1992, 24-27.
Verstockt, K. ‘Zonder wrevel’, dans: Knack, 5 décembre 1990.

Mozart/Concert Aria’s

Schmidt, C. ‘Keersmaeker’s Concert-Arias’, dans: Dance Theatre Journal, automne 1992, 11.
T’Jonck, P. ‘Anne Teresa De Keersmaeker’, dans: Etcetera, n° 39, 1992­1993, 36-41.

Toccata

Laermans, R. ‘Bach / Creatie ’93. “De dingen moeten zichzelf uitwijzen”’, dans: Notes, juin 1993, 11-12.
‘Anne Teresa De Keersmaeker / Rosas. Toccata’, dans: De Munt/ La Monnaie Magazine, juin et septembre 1994, 33-37.

Kinok

Steijn, R. ‘Choreograferen op de tekentafel’, dans: Notes, juin-juillet­août 1994, 38-40.
Verstockt, K. ‘De beweging van het oog’, dans: Knack, 1 juin 1994.

Amor Constante más allá de la muerte

De Mey, T. ‘Anne Teresa De Keersmaeker/ Rosas. Amor constante más allá de la muerte’, dans: De Munt/ La Monnaie Magazine, décembre 1994 - janvier 1995, 41-44.
Rubens, V. ‘Verborgen intenties’, dans: Etcetera, 49, 1995, 33-35.
Van Imschoot, M. ‘De liefde voor muziek van Anne Teresa De Keersmaeker’, dans: De Morgen, 30 novembre 1994.
Verstockt, K. ‘Liefde met alle egards’, dans: Knack, 14 décembre 1994.
Woud

Schmidt, J. ‘Turning onto the high road. A new De Keersmaeker dance work in Brussels’, dans: Ballet International / Tanz Aktuell, mars 1997, 40.
Verduyckt, P. ‘Een meisje in het bos. Woud van Anne Teresa De Keersmaeker’, dans: Knack, 5 février 1996.

 

Une publication du Vlaams Theater Instituut v.z.w. en collaboration avec les dépar­tements de sciences théâtrales des quatre universités flamandes: U.I.Antwerpen, Universiteit Gent, K.U.Leuven, V.U.Brussel.
Rédacteur en chef Geert Opsomer Comité de rédaction
Pol Arias, Annie Declerck, Ronald Geerts, Erwin Jans, Rudi Laermans, Ann Olaerts, Frank Peeters, Luk van den Dries, Marianne van Kerkhoven, Jaak van Schoor Graphisme
Inge Ketelers Photogravure et impression Cultura, Wetteren Tirage 600 ex.
Kritisch Theater Lexicon 9 f, portrait d’Anne Teresa De Keersmaeker
Auteurs Marianne van Kerkhoven, Rudi Laermans Recherche Marianne van Kerkhoven, Rudi Laermans Dansographie / Bibliographie Eef Proesmans Traduction Monique Nagielkopf Correction Michèle Tys Photo portrait d’Anne Teresa De Keersmaeker Herman Sorgeloos Photos Herman Sorgeloos
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Traduit de: Anne Teresa De Keersmaeker, Vlaams Theater Instituut, Bruxelles 1997 © 1998 / Éditeur responsable: Klaas Tindemans