Présence de Janine Charrat

Au Théâtre des Champs-Elysées

Les Beaux-Arts 17 Oct 1958French

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Contextual note
Françoise Reiss was a French dance critic, renowned for her books on Vaclav Nijinsky. She regularly published in the weekly section " Les Beaux-Arts à Paris", which made up the last few pages of each issue of Les Beaux-Arts.

Retour très attendu de Janine Charrat et de sa compagnie « Ballet de France », après une absence de cinq ans faisant suite à la création puissante et méconnue des Algues. Aujourd’hui, ceux qui se sont naguère lourdement trompés par un jugement trop hâtif, se montrent prudents. L’hypocrisie règne en cette soirée de « première ». Tel balletomane s’époumone à crier « Bravo ! » et à faire relever le rideau, qui me confie quelques minutes plus tard : « Je trouve que cela ne casse rien ! » A l’entracte, Félix Labisse reçoit les compliments de ses amis pour son décor de Francesca da Rimini. Il prend l’air gêné car, en effet, il n’y a pas de quoi. « Un paradoxe, ce décor, susurre cet autre spectateur. Il réussit à être à la fois plat et creux ! »

Principale création : La Chimère, qui porte en elle beaucoup d’efforts, d’espoirs et de rêves de sa chorégraphe et interprète principale, Janine Charrat elle-même. Montée en dix jours sur un argument de Thamara de Letay, décoratrice brésilienne, auteur également des maquettes des costumes, cette oeuvre révèle au public de ballets un compositeur de valeur : Jacques Thiérac, dont la partition utilisée pour La Chimère, avec fort peu de changements, avait été jouée en première audition au Festival de Besançon, tout récemment. Musique ample, lyrique, mélodieuse qui s’accorde bien avec le thème : l’Homme séduit par la Chimère lui sacrifie tour à tour la Fortune, la Gloire, l’Amitié, et même l’Amour, pour se retrouver face à l’Infini et au Néant. Ballet allégorique, avec tous les dangers que comporte le genre. Janine Charrat n’y a pas entièrement échappé. Il lui faudra trouver pour chacun des personnages des incarnations plus humaines, des anecdotes plus lisibles, des détails plus quotidiens, plus proches du réel, plus touchants. D’autre part, les costumes originaux dans leur dessin étaient fautifs par leurs couleurs. Ils devaient être corrigés au lendemain de la première. Ceci ne doit pas faire oublier les beautés de l’oeuvre, notamment l’image finale où la Chimère s’enroule autour des pieds de l’Homme monté sur un piédestal pour contempler l’Infini-Néant. Tableau saisissant par la réussite de ses lignes plastiques, l’émotion profonde qu’il suggère et la présence incomparable de Janine Charrat.

Nouveauté pour Paris, Les Liens ont obtenu, par contre, un succès mérité et sans réserve. La profondeur et la clarté de l’argument de Janine Charrat mettant en scène trois personnages : l’Homme et la Femme dont le Destin tisse et tire les fils de leur aventure; l’habileté de sa chorégraphie dont chaque épisode est lumineusement traduit par le geste ; l’excellente interprétation de Janine Charrat, Adolfo Andrade et Elburg Karel; la sobriété et l’originalité du décor de Bernard Daydé composé de quatre poteaux et de liens élastiques incorporés dans l’ action des protagonistes; la musique de Sémenof qui accompagne très fidèlement le ballet... Tous les éléments de ce ballet bien rodé en font une des productions de premier rang de Janine Charrat.

Arlequin sans Josette Clavier, malgré le talent de la jolie Tessa Beaumont, ne passe pas suffisamment la rampe. Francesca da Rimini de Serge Lifar, sur la musique de Tchaikovsky, présente un beau pas-de-deux interprété d’émouvante façon par Hélène Traïline et Juan Giuliano. Le Pas-de-trois de Balanchine sur la musique de Minkus, procure toujours du bonheur mais il y faudrait des techniciens hors de peine. Enfin, Le Mandarin merveilleux du chorégraphe hongrois Ernö Vashegyi (musique de Bela Bartok, décors et costumes assez réalistes de Max Röthlisberger), malgré de très beaux passages, penche plus vers le genre policier et « noir » que vers le pur chef-d’oeuvre. Vera Pastor s’y montre une souple danseuse doublée d’une actrice de talent.